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[ Information masquée ] Age : 31
Lieu de naisance : Stormwind
Sexe : Homme
Race : Humain
Faction : Alliance
Formation : Voleur
Niveau : 13
Guilde :
Troisième Ère [6]
Lune de la Force
Décade du Panda
Décade du Gorille
Décade de l'Ours
Lune d'Agilité [5]
Décade du Tigre [5]
[Mémoires] La quête de l'Epée d'Ishara
Préface
Je m'appelle Taleyran Trausanal. D'aucun peuvent croire que le tournant de ma vie eut lieu le jour où, n'ayant plus un sou ni les moyens de gagner ma vie honnorablement, j'abandonnai mon existence sans saveur pour errer sur les chemins des Royaumes de l'Est. Ecrivain avec trop peu de talent, mes romans épiques n'ont sans doute touché qu'un public trop restraint. L'imaginaire ne paie pas. C'est un constat dur et douloureux, pour qui n'a jamais connu le besoin les 25 premières années de son existence. Dès lors j'ai vécu tant bien que mal. Au lieu d'écrire des récits aussi passionnés que fictifs, je me suis mis à colporter les nouvelles et les rumeurs de tout pays à qui voulait bien les entendre, contre un peu de pain et d'eau, davantage quand j'avais de la chance. Si je devais rentrer dans les détails de cette vie dissolue, j'aurai honte à avouer ce qu'on est prêt à faire pour manger. Aussi en resterai-je là. Ce passé, cette page de mon histoire n'a pas d'importance dans ces mémoires.
J'ai visité tous les Royaumes de l'Est. Même Lordaeron avant sa chute. J'ai ainsi erré près de 6 ans. Et c'est à la fin de cette période que les choses ont commencé à changer... Radicalement. Ceci relate nombre des évènements qui sont survenus. Si aujourd'hui je reprends la plume pour en immortaliser le récit, ce n'est pas pour gagner ma vie. A mon sens, il est important de marquer dans l'histoire ce qui s'est joué devant moi et même ce à quoi j'ai participé. Parce que cette histoire est vraie, ce n'est pas une invention. Parce que c'est ma vie, celles de quelques personnes que j'ai côtoyé et, à travers ces existences, un ensemble de tragédies qui ont laissé une marque indélébile dans les âmes.
(à suivre...)
[Memoires] La Quête de l'Epée d'Ishara - 2
Où l'on conte les légendes
"Qui cherche la vérité, cherche celui qui la détient, car elle n'existe pas à l'état naturel"
Précepte d'Argus Fattar, de "La philosophie avant la philosophie".
L'Epée d'Ishara est une légende méconnue. Si elle revêt tant d'importance dans mes mémoires, c'est parce qu'elle n'est pas qu'une légende, et parce qu'il m'a été donné d'en comprendre l'origine, le fondement, et de voir la réalité qui se cache derrière. Tous les mythes se basent, tôt ou tard, sur une vérité. Il est toujours délicat de savoir si une légende est né d'un fait, ou si elle a inspiré un fait. Le savoir oral ne transmet pas ce genre de détails. La vérité est que personne ne le sait. Et même s'il existait un écrit attestant qu'un évènement ou un autre s'est déroulé d'une certaine façon, il n'existe rien n'y personne qui puisse attesté de la véracité d'un tel écrit. On dit que l'Histoire est écrite par les vainqueurs et les survivants. Nul ne peut contrer cette triste constatation. Alors, toutes ces mémoires ne sont qu'un doute de plus, un avis partial et discutable. Mais peu importe. Une si cynique opinion ne saurait m'arrêter dans cette oeuvre.
Lors d'un temps très ancien qui remonte à plusieurs millénaires, il est dit que la prêtresse d'Elune, Ishara, qui vivait auprès de son peuple, dans la lointaine Kalimdor, et à l'abri des regards des autres races, fut éprise d'amour pour un Haut Elfe. A cette époque, la cission entre l'ancien peuple des Kaldorei et le nouveau peuple des Quel'dorei était consommée depuis des siècles. Mais cet amour était bien plus ancien encore. Par la voie des oracles et la magie, Ishara était restée en contact avec son aimé, Kerinos, et malgré le fait que les Elfes de la nuit avait cessé de vieillir, malgré les siècles de séparation, malgré la distance qui les séparait et les innombrables différences culturelles qui se creusaient à travers les âges, ils avaient continué à s'aimer. Jusqu'au jour où, n'y tenant plus, dévorée par l'ennui de la vie éternelle, Ishara ne put se retenir de quitter les siens, de franchir les limites d'Ashenvale, et d'entamer la traversée de l'océan qui séparait les deux continents.
Hélas, son périple prit fin mystérieusement. Plus aucune nouvelle ne parvint à Kerinos, qui, informé du désir de son aimée à le rejoindre, l'attendait vainement. Très inquiet à son sujet, il quitta la glorieuse Silvermoon, et partit à sa recherche dans les confins maritimes du Maelstrom. Il s'y rendit seul, armé de son épée, une arme antique qu'une magie ancienne avait forgée. On raconte même que cette épée unique qu'il avait en sa possession avait été impregnée par les énergies du Puits d'Eternité, bien avant sa destruction. Nul ne sait comment il était devenu le propriétaire de cette arme, d'aucun s'imaginant que Kerinos lui-même l'avait fabriqué. D'étranges symboles parcouraient sa lame, et Kerinos avait passé une grande partie de sa vie à en comprendre l'usage ou à les faire.
Le frèle esquif de Kerinos aborda les iles situées au sud du Maelstrom, où, dit-on, reposent les ruines anciennes des grandes cités Kaldorei voisines de Zin'Azshari, la mythique capitale de la reine Azshara. Et là, miraculeusement, il découvrit l'épave récente d'un navire elfique. Cette contrée était infestée de Murlock, mais envahie, également, par une mystérieuse race que nul n'avait rencontré à ce jour, les Nagas. Kerinos dut se battre pour progresser, usant de son épée magique aux propriétés fabuleuses. Cette épée volait la vie qu'elle otait à ses victimes pour donner force et puissance à son porteur, une épée vampire. Kerinos savait que chaque fois qu'il en faisait usage, son âme se noircissait un peu plus, dévorée par l'accoutumance, corrompue par le désir un peu plus pressant de voler encore plus de vie. Un acte répugnant et pourtant devenu naturel, tant les danger qu'il affrontait étaient grands. Car il ne faisait aucun doute que les Nagas avait capturé sa douce Ishara et il était prêt à tout pour la secourir.
Il massacra tous les Nagas de la cité, un à un, civils ou soldats, pauvres ou nobles, pour Kerinos, ces monstres se ressemblaient tous. Sa bataille aurait pu être contée de bravoure et de prouesse, si elle n'avait été entâchée par le moyen dont il usait. Et lorsqu'il s'enfonça dans les geoles, réduisant au silence les gardiens reptiliens, il découvrit enfin l'objet de ses recherches. Libérée de ses chaines, Ishara pleura de joie en voyant Kerinos. Elle se jeta dans ses bras. Mais à cet instant précis, le désir de l'épée surpassa la volonté affaiblie de Kerinos. L'arme s'interposa entre lui et Ishara qui s'empala dessus. Réagissant avant que l'épée de vole la vie de son aimée, Kerinos retira la lame de son corps et la jeta au loin. Mais il était trop tard. Ishara était mourrante. Dans ses yeux desquels la vie s'éteignait lentement, se lisait l'incompréhension, un sentiment de trahison qui rendit Kerinos fou de douleur, incapable d'expliquer ce qu'il avait fait, incapable de prononcer le moindre mot. Il n'eut qu'un ultime éclair de lucidité pour décider ce que qu'il avait à faire. Il ne pouvait continuer à vivre en ayant tué son aimée de la sorte, dominé par la magie qu'il avait créé, il ne pouvait vivre avec le souvenir de cette expression terrible qu'il lisait sur le visage d'Ishara. Il alla ramasser l'épée et avec prudence, la plaça dans les mains d'Ishara. Lui tenant fermement les mains déjà glacée par le souffle de la mort sur la garde, il se l'enfonça dans l'abdomen jusqu'à ce qu'elle le transperce et qu'il puisse s'approcher assez de son aimée pour, dans un dernier souffle, alors que la magie de l'arme volait sa vie pour la donner à son amour, il puisse lui dire : "ce n'est pas ma vie, mais mon amour que cette épée me vole pour te le donner. Tu vivras avec lui éternellement. Je t'aime".
Et nulle trace de corruption ne vint assombrir le coeur d'Ishara, car seul l'amour avait été déversé en elle par ce geste. Elle comprit dès ce moment, tout ce que cette épée avait fait de mal, et pleura abondamment sur le corps de Kerinos, seule dans cette cité abandonnée par la vie. Lorsqu'elle n'eut plus de larme à verser, vidée, affaiblie, sans jamais désserer son étreinte de la garde de cette arme maudite, elle quitta sa prison, comme un fantôme. Elle erra sur l'île et découvrit l'embarcation de Kerinos. Mécaniquement, elle affrêta le voilier, et s'éloigna des côtes. Quand elle eut pris assez de distance, elle pria Elune. Elle la pria de pardonner à Kerinos toute ses fautes, elle la pria d'accorder à son âme la paix éternelle, car il était mort par amour. On raconte alors qu'Elune parla à sa fidèle et accomplit ses désirs, mais elle y mit une condition. La prêtresse accepta sans discuter. Elune dit alors : "Kerinos sera en paix et son âme et la tienne rejoindront mon firmament. Mais d'ici à ce que ta vie s'achève, tu porteras et garderas cette arme, un symbole et un fardeau, un enseignement pour les générations futures." Puis l'île au lointain s'enfonça dans les flots, provoquant une immense vague qui emporta Ishara vers les côtes de Strangleronce à une vitesse époustouflante.
Elle y parvint plus morte que vive, affamée et perdue. On raconte qu'elle rencontra des trolls dans ces dangereuses jungles, et d'autres dangers mortels. Mais elle survécut, grâce aux pouvoirs que lui accordait Elune, et jamais elle n'utilisa l'épée. Elle traversa de nombreuses contrée qui avait oublié l'existence des Elfes de la nuit et elle dut masquer sa nature pour susciter trop d'interrogation. Au terme d'un périple qui dura plusieurs années, elle parvint jusqu'à Quel'Thalas. Elle fut assez mal accueillie, mais apportait des nouvelles de Kerinos et de sa mort tragique. Porteuse de l'amour que lui vouait le Haut-Elfe, Ishara réclama asile auprès de ceux qui le connaissait. Avec difficulté, elle s'intégra à la société des Quel'Dorei, unique prêtresse d'Elune en leur sein.
Les siècles passèrent et les générations de Haut-elfe se succédèrent devant l'immortalité d'Ishara. Elle continuait à servir avec ferveur la déesse et à porter en elle l'amour indéflectible de Kerinos. Quant à l'épée, nul ne vint jamais l'interroger à son sujet. Elle se garda de succomber aux charmes de nombreux prétendants. Cependant, même le temps peut user la détermination et le coeur des immortels. Un jour, elle rencontra Lokmariek, un Haut-Elfe magicien qui tomba éperdument amoureux d'elle. Elle ne céda pas immédiatement à ses charmes, mais elle sentait dans son coeur une véritable attirance. Au terme d'un siècle d'effort, Lokmariek fut récompensé de ce fidèle engouement, Ishara lui ouvrant son coeur. Elle avait tant vécue de souffrance et de dévouement qu'elle demanda pardon à Elune et à l'esprit de Kerinos de ne pouvoir attendre la fin de sa vie pour être heureuse. Elle et Lokmariek se marièrent et consommèrent cette union. Dans cet acte, la distance qui séparait Ishara de Nordrassil, et l'abandon de son amour éternel provoqua un changement irréversible chez Ishara : elle devint mortelle.
Ishara et Lokmariek donnèrent naissance à une fille, Vilasha. Celle-ci fut élévée dans le respect des deux traditions, Kaldorei et Quel'dorei. Cependant, les Haut-Elfes avaient beaucoup changé et cette naissance porta un coup sévère à leurs coutume. Plutôt que d'accepter cette métisse, ils convinrent de la bannir. Ishara et Lokmariek quittèrent donc Quel'Thalas avec leur fille. Ils firent en sorte de disparaître et s'installèrent à l'écart de toute civilisation. Ils purent éléver Vilasha sereinement. Mais il advint que malgré sa mortalité, il restait bien plus de temps à vivre à Ishara et Lokmariek mourrut de vieillesse, laissant la mère et la fille seules dans cette contrée perdue, quelque part dans les plateaux d'Arathi.
Les années passèrent et Vilasha voulut explorer le monde, découvrir ses racines, ce que sa mère lui interdisait formellement. Finalement, Vilasha, plus que tout désireuse de voir Quel'Thalas et Ashenvale, s'enfuit de la maison. Ishara était vieille alors et avait compris la leçon d'Elune. Son amour perdu pour Kerinos revenait la hanter et de cauchemar en cauchemar, elle savait qu'elle avait déjà signé sa condamnation. Abandonnée par sa fille, elle dépérit, seule et mourrut à son tour de vieillesse. Son corps reposa là, dans son lit de mort et l'épée demeura dans un coin de la maison.
Un explorateur nain découvrit la maison des années plus tard et emporta l'épée, dit-on. On raconte que Vilasha serait finalement revenue de ses prérégrinations. Elle avait visité Quel'Thalas et les Royaumes de l'Est. Kalimdor et Hyjal, mais nulle part ne s'était sentie chez elle. Elle fut triste de découvrir que sa mère était morte et se le reprochait. Et surtout, elle ne retrouva pas l'épée que gardait religieusement Ishara. Elle partit alors à la recherche de cet objet précieux, sans avoir jamais su son origine et sa nature, sa mère n'ayant jamais eu l'occasion de le lui dire.
Nul ne sait ce qu'il advint de l'épée et de Vilasha. On prétend qu'elle retrouva l'épée et la garda. Peut-être eut-elle des enfants avec des humains. Parfois on entend la rumeur d'une femme étrange, ni vraiment humaine, ni vraiment elfe qui erre dans la campagne avec une épée enveloppée dans du tissu, sur la garde apparente de laquelle transparaissent les signes d'un ouvrage antique et étranger. Les Orcs sont venus, les guerres se sont succédées. La Légion est venue, et tant de choses on changées. Mais toujours cette rumeur persiste et se déplace de lieu en lieu. L'épée d'Ishara ainsi que l'amour et la malédiction qu'elle porte en elle demeure.
(à suivre...)
[Mémoires] La quête de l'Epée d'Ishara - 3
Où l'on découvre des similitudes troublantes
"Le vrai consiste en ce que l'on peut croire, le mensonge en ce que l'on peut dire."
Constat de Justin Krelor, Bailli d'Andhoral, lors d'un procès.
Mes pérégrinations sont longtemps restées sans but, comme je l'écrivais plus haut, avant que ma vie ne bascule. Elle bascula un soir d'été dans la région d'Elwynn. Je me cherchais un couvert et une couche pour la nuit. Les maisons bourgeoises ne manquaient pas, principalement à Stormwind. C'est dans ces maisonnées aisées que l'on gardait la part du pauvre. Et pauvre, je l'étais. J'eus le bonheur de remplir mon ventre ce soir là, dans la maison des Blackmaens. C'est un nom qui ne me disait rien à l'époque. Aujourd'hui c'est différent. Vivait là un drapier bourru, sa femme et leurs deux enfants, pratiquement en âge de quitter le foyer. Ce n'était manifestement pas là un couple heureux pour autant, malgré l'apparente opulence de la famille, mais je m'étais gardé d'émettre la moindre remarque. J'eus un plat chaud et le droit du boire du vin. Pour les remercier, j'insistai pour leur faire le récit d'une légende que j'affectionnais. Le père de famille ne resta pas pour écouter, mais les enfants étaient enchantés et leur mère accepta timidement ma proposition.
Alors je déclamai cette légende de l'épée d'Ishara, l'agrémentant de détails dont j'avais le secret. Durant 2 heures, je pus apprécier le plaisir de fasciner ces deux adolescents, mais plus encore, la femme qui m'écoutait religieusement, le regard brillant. J'eus peine à admettre avoir fait si bonne impression à mon auditoire, quand, achevant mon conte à la fin si imparfaite, Maran Blackmaens (la mère) me posa une question qui m'étonna : "croyez-vous que cette légende puisse être vraie ?". Je dus produire un sourire géné. Je n'y avais pas vraiment réfléchi. Quand j'y pense, beaucoup d'éléments de ce récit avait pu être inventé en l'absence de témoin. La reconstitution du déroulement des évènements tenait parfois du miracle, sans compter les nombreuses zones d'ombre qui le ponctuait. Je répondis néanmoins ce que m'inspirait le moment, à savoir que toute légende se forge à la lisière de l'histoire.
Je m'apprétais à rejoindre la paillasse qu'on m'avait assigné dans un coin de la salle commune, quand la femme me demanda de rester. Elle s'absenta pour emmener ses enfants au lit et revint visiblement désireuse de converser davantage. Et là, elle commença à me parler de sa fille Nausicaâ. Elle me raconta comment il l'avait découvert, son apparence légèrement différente des standards humains et surtout l'épée qui s'était trouvée à côté d'elle et qui avait longtemps décoré la hotte de cette cheminée tout à côté de moi. C'était à mon tour de l'écouter religieusement, passionnément, prenant lentement conscience, si infime soit cette chance, que l'épée dont elle parlait soit la légendaire épée d'Ishara, et Nausicaâ, la descendante de la prêtresse d'Elune.
Ce fut un choc. Comme celui que provoque le contact soudain et imprévu avec le contenu glacé d'un seau d'eau froide. Là, se tenait devant moi la mère adoptive d'une enfant accompagnée d'une épée à la facture étrangère qui pouvait correspondre à l'Epée d'Ishara. J'étais étonné des détails que Maran pouvait me donner sur cette arme et dans le même temps je regrettais amèrement de ne pas avoir plus de précisions issus de ma légende pour l'identifier plus clairement. Mon imaginaire flamboyait devant une telle révélation, et mon esprit rationnel était incapable d'imposer le silence à cette soudaine passion brulante d'en savoir un peu plus plus. Mais cet instant particulier de désir fut rapidement contenu par l'arrivée inopinée du mari qui reprocha à sa femme d'être encore debout, la priant de rejoindre le lit conjugal sans délai.
Je m'excusai de mon emportement auprès de cet homme qui ne m'adressa même pas un regard et me fit savoir d'un geste dédaigneux où était ma place pour la nuit. Je gagnai alors la généreuse paillasse de mes hôtes. Je ne pus fermer l'oeil de la nuit. J'imaginai tout un tas de possibilités, j'échaffaudai des centaines d'hypothèses et formulait intérieurement des milliers de questions. Au matin, le drapier me pria de partir. Je n'eus pas l'occasion de parler de nouveau à Maran à ce moment, mais, après le départ de son mari, je revins frapper à la porte. Elle m'ouvrit et m'accueillit à la condition que je reparte avant le soir, ce que je promis. Je voyais ce même feu brulant que le mien briller dans ses yeux, et je savais qu'elle voulait en savoir davantage elle aussi.
J'appris tout ce que je pouvais savoir sur Nausicaâ. Sa formation de prêtresse de la Lumière, son mariage récent et sa disparition. Maran me fit part de ses doutes sur la façon dont avait pu la traiter son mari, lequel avait prétendu qu'elle était partie sans raison, quand il était venu la chercher dans le foyer des Blackmaens. Cela ne faisait que quelques jours. Il était possible que la jeune femme ne soit pas allée très loin. Et je compris, au fur et ma mesure que cette mère me donnait toutes ces explications, que j'en ferai usage à dessein, peut-être pour la retrouver et la protéger de ce mâle belliqueux qui était devenu son mari et en lequel Maran n'avait aucune confiance. Nous n'abordâmes pas les choses aussi directement cependant et je ne pouvais que deviner son désarroi et ses craintes. Je lui avouai néanmoins que j'allai chercher sa fille, dans le but de savoir si la légende d'Ishara pouvait être rattachée à Nausicaâ.
Ce jour-là, en quittant le foyer des Blackmaens, j'avais trouvé un but dans mon existence. S'il s'avérait que l'épée de Nausicaâ était aussi celle d'Ishara, alors j'avais là l'opportunité de mettre à jour l'une des plus passionnantes et plus anciennes histoires vraies de notre monde, sans compter ce que Nausicaâ pouvait elle-même retirer de mes découvertes : ses racines. En sortant, je crus apercevoir un visage d'adolescent à la fenêtre de l'étage de la maisonnée Blackmaens, me demandant si ma conversation entre Maran n'avait pas été entendue. Mais je n'y prétais pas plus d'attention. Je voulais retrouver Nausicaâ et je ne savais pas trop par où commencer. Mais cette nouvelle vie qui s'offrait à moi, je la désirais et je sus, à cet instant, que je ferai tout ce que je pourrai pour la vivre, bien plus pleinement que les piteuses années qui avaient précédé.
Maran m'avait laissé un présent avant de partir. Une sorte de message pour sa fille et une surprise pour moi. Il s'agissait d'un livre de Taleyran Trausanal, autrement dit moi-même, écrit du temps où mes récits imaginaires ne me semblaient pas si passionants que cela. "Les aventures du Chevalier Gilois" était le titre de l'ouvrage. Le récit épique d'un chevalier déshérité et peureux qui conquiert honneur, force et courage à la recherche de la femme qu'il aime. Voir ce vieux conte pour enfant me fit sourire. Des arabesques colorées avait été dessinées sur la couverture par cette jeune fille que je cherchais maintenant. Maran m'avait dit qu'il s'agissait de son livre préféré, lorsqu'elle était plus jeune. J'étais touché par la confiance que me vouait sa mère, à confier cet ouvrage à un inconnu comme moi. Elle ne savait pas que j'en étais l'auteur, mais Taleyran Trausanal n'est pas quelqu'un dont je vantais les mérites à cette époque. Investi de cette mission, je me mis en quête de l'épée d'Ishara, une idée qui ne quitta pas mon esprit avant longtemps... Très longtemps.
[Mémoires] La quête de l'Epée d'Ishara - 4
Où la rencontre a lieu, bien plus tôt et bien plus étrangement que tout
"La mort est de la vie l'amante la plus fidèle et la plus douce. Donner à autrui la liberté de se perdre dans ses bras est une offrande trop grande. La souffrance, à bien des égards, est une alliée bien plus précieuse."
Extrait du discour fondateur d'Edwin VanCleef.
Elwynn. C'est avec un certain pincement au coeur que je traversai à nouveau ses forêts. Six ans plus tôt, elles avaient déjà retrouvé une certaine majesté, après des années de conflit contre les Orcs. Ce jour-là, elles semblaient encore plus merveilleuses. Mais je ne les contemplais que d'un oeil, sans les voir vraiment. J'en garde le souvenir, car c'est cette journée là qu'il se produisit un évènement important, le premier de ma quête. Un évènement qui me fit regarder ces arbres sous un angle nouveau, et, je dois dire, probablement unique.
Je ralliai Goldshire dans l'espoir de trouver de quoi commencer mes recherches. Quelqu'un qui fuit un pays, selon toute vraissemblance, doit faire un minimum de préparatif. Je m'étais dit que si Nausicaâ ne comptait pas traîner, il lui fallait quitter Stormwind précipitamment et trouver rapidement de quoi lui permettre de voyager plus loin. Goldshire, en cela, à la croisée des routes du Northshire, du Bois de la Pénombre, des Carmines et des Marches de l'Ouest, me paraissait, en tout point, le lieu idéal pour un tel départ rapide. Outre les caravanes de marchands de passage et les gens du voyage qui s'y arrêtait, cette bourgade proposaient des dizaines d'opportunités pour se déplacer rapidement d'une contrée à une autre. Evidemment, j'omettai un peu rapidement la possibilité de prendre un vol de griffon ou d'emprunter le Tramway des Abysses pour se rendre directement dans le nord, des moyens qui n'existaient pas à l'époque où j'avais vécu dans cette région, mais il fallait bien commencer par quelque chose.
Point de passage obligé d'une bourgade comme Goldshire, l'Auberge de la Fierté du Lion. Un établissement qui, en six ans, n'avait rien perdu de sa réputation. J'avais pris le temps de remplir quelques menus services en arrivant dans la ville, services qui me permirent de disposer d'un petit pécule de départ. Les gens étaient plus bavards lorsqu'il voyaient quelques pièces. Une tendance qui, malgré ma pauvreté forcée, ne m'avait jamais étreint. En ce qui concerne l'argent, j'ai depuis longtemps perdu mes illusions.
En questionnant quelques personnes, je parvins à rassembler des informations a peu près fiables, mais néanmoins contradictoires. Les gens que j'interrogeais ne s'accordaient pas sur la datation de leur témoignage, laissant penser que Nausicaâ aurait parfaitement pu passer par ici la veille au soir. Une information absurde, selon moi. Toutefois, la description que j'en faisais avait manifestement laissé une trace dans les esprits, ce qui était encourageant... Et inquiétant aussi, sachant qu'elle était recherchée. Et puis, certaines personnes finirent par repérer mon manège, du moins je le suppose, et un billet me fut discrètement amené par une serveuse alors que je buvais tranquillement une de ces affreuses bière naine. Cela faisait des années que je n'avais plus bu d'alcool, considérant l'eau comme le plus précieux des liquides. Maigre comme j'étais, cette bière me saoula très rapidement. On peut penser que j'étais une petite nature, mais croyez que la bière naine compense son goût répugnant par un dosage fort peu recommandé de fermentation. Toujours est-il que je lus le billet qui m'enjoignait à retrouver quelqu'un à l'étage de l'auberge, sans autre indication.
Je m'y rendis, non sans mal, cherchant des yeux une personne qui attendrait de me rencontrer. En pénétrant dans une pièce, je vis quelqu'un qui pouvait faire l'affaire et me dirigeait vers elle. Elle me sourit vaguement et répondit à mon salut par un hochement de tête. Quand, jaillissant d'une chambre voisine, deux géants s'en prirent à moi. Il y avait un homme et une femme. L'homme "s'occupait" de mon contact tandis que la femme, menaçante, me poussait vers la sortie en me demandant de partir sur le champ. Il s'agissait d'Elfes de la Nuit. Je n'en avais qu'entre-aperçu jusque là. Depuis ces 4 dernières années, ils voyageaient dans toutes les contrées de l'Est. Devant mon refus manifeste, dictée par une fierté alcoolique des plus malvenues, la femme se transforma en ours et se mis à grogner, à me pousser et à mordre. Je reculais sur le palier, priant pour que les rugissements de la bête alertent quelqu'un apte à me venir en aide. L'homme que j'étais venu voir se retira sans même me jeter un regard et le compagnon de l'ours, redevenu elfe, se joignit à elle pour me menacer.
Et là, ils m'assénèrent un coup. Un coup au moral en fait. Ils m'avouèrent être des Défias. Quelques années plus tôt, les Défias n'infestaient pas Elwynn comme maintenant. A mon sens, il était pire de découvrir que les Elfes de la Nuit pouvaient eux aussi se lancer dans une carrière de criminel auprès de ce groupe. Je leur dis que je n'avais pas d'argent, mais ils me rétorquèrent qu'ils ne me laisseraient pas partir de toute façon et que ma vie leur appartenait. Comment peut-on devenir aussi borné et limité dans ses choix moraux ? Aujourd'hui encore je me pose la question. Toujours est-il que, sentant ma vie menacée, je n'eus d'autre choix que de me battre, car personne ne venait à mon secours. La femme elfe assuma la forme d'un ours, à nouveau, et se rua sur moi. Je dégainai la seule arme à ma disposition, une dague, dont fort heureusement, j'avais appris à me servir. D'un coup habile je portais un coup au front de l'animal et son sang gicla dans ses yeux, l'empêchant de me déchirer en deux d'un coup de patte. Un coup de pommeau sur le crâne acheva de le sonner, le temps pour moi de bousculer son compagnon et de m'enfuir par l'escalier.
Je me précipitai hors de l'auberge avec une grimace dégoût lorsque je croisais furtivement le regard d'un client et que celui-ci se détournait comme s'il n'y avait rien à voir. Je dus pourtant traverser la salle commune... Sans déclencher la moindre réaction. Une fois dehors, j'appelai au secours. Mais devant la lenteur des soldats à réagir et l'arrivée rapide et menaçante de l'un des Défias, je pris mes jambes à mon cou. Je quittai la ville avec l'espoir de pouvoir me précipiter dans un poste de garde proche. Je ne l'atteignis point. Le Défias était plus talentueux que sa compagne. Il me rattrapa et m'asséna un coup sur le crâne. Lorsque je m'effondrais par terre, je sentis la froide morsure du métal pénétrer entre mes côtes jusqu'à mon coeur. La douleur tétanisa tout mon corps, brulant la moindre parcelle de sensation, l'irradiant complètement, jusqu'à ce que cela se retire, lentement... mon coeur expulsant, avec mon sang, la douleur hors de mon corps. Alors que j'étais couché sur le dos, mes yeux se fixèrent sur la seule chose que je pouvais voir. Le feuillage automnale des arbres d'Elwynn qui masquait un ciel qui s'assombrissait. Là, ma conscience s'échappa, en même temps que ma vie...
Je crois que j'étais mort. C'est étrange d'en parler au passé. Et puis, je revins à moi et un visage était penché au-dessus de ma tête, le visage d'une femme-enfant, un visage étrangement familier. Elle ne me regarda pas longtemps et s'adressa visiblement à quelqu'un d'autre :
- Partez avant que je ne change d'avis !
Sa voix avait quelque chose de cristallins. Je me mis sur mon séant, et je regardai alentour, un peu désorienté. Le Défias avait disparu, mais la femme Elfe était toujours là et menaçait maintenant ma sauveuse. Elle se transforma en ours et l'attaqua. Je me relevai bien vite et pris quelques distances.
- Fuyez ! me lança l'humaine.
Dans le même temps je repérai, dépassant de son sac, une sorte d'arme empaquetée dans du linge. Je ne parvenais pas à bouger alors qu'elle répétait son injonction tout en résistant aux assauts furieux du mammifère.
- Non, fis-je. Je vais vous aider.
Elle insista et moi je persistais à ne pas bouger. Et, à vrai dire, je ne fus pas en mesure de l'aider. Devant la volonté farouche de la bête, elle finit par se mettre en colère et user des pouvoirs de la Lumière pour la neutraliser. Et durant tout ce temps, je ressassais la description que Maran Blackmaens m'avait fait de Nausicaâ : c'était elle !
Mise au tapis, l'elfe déguerpit sans demander son reste. Et je pus approcher de la jeune humaine.
- Pourquoi n'êtes-vous pas parti ? me demande-t-elle sans préambule.
Je me lançai dans une explication sans fondement lorsque je décidai de lui demander son nom. Elle dit s'appeler Loredala. Je ne la crus pas. J'avais acquis la certitude que c'était bien la personne que je recherchais :
- Vous êtes Nausicaâ n'est-ce pas ? la questionnai-je.
Devant sa gêne, je compris que j'avais vu juste. Je l'invitais à nous éloigner de la route pour discuter, en lui montrant le livre que sa mère m'avait confié. Elle le reconnut immédiatement et j'acquis alors sa confiance. Nous nous fîmes héberger quelques temps dans une ferme en pleine forêt. J'avais l'habitude de faire ce genre de demande et je devais paraître assez aimable à ceux qui m'ouvraient leur porte pour qu'ils m'ouvrent également leur maison. D'autant que j'étais accompagné d'une jeune femme, et que nous montrions tous deux les signes d'une lutte récente, assez d'arguments pour demander un abri, pour échapper aux Défias qui, potentiellement, nous pourchassaient.
Là, je pus discuter tranquillement, ou à peu près, avec Nausicaâ. Je me présentai et elle fut étonnée d'apprendre mon identité. Moi qui avait tout l'air d'un vagabond, j'étais là, devant elle, et j'étais toujours son auteur favori. Cela me réchauffa le coeur. Nous échangeâmes quelques banalités sur ma vie sans intérêt. Je lui fis part des inquiétudes de sa mère adoptive. J'appris aussi que le chef de famille Blackmaens n'était pas son père adoptif, ce que Maran ne m'avait pas dit. Et puis je lui racontai pourquoi je la cherchais, la fole idée selon laquelle une ancienne légende permettrait de retrouver ses origines, et surtout, je lui parlai de son épée et demandai à la voir. Lentement, religieusement, elle dépaqueta l'objet devant mes yeux. J'étais presque déçu de la voir enfin. Les mythes grandissent les choses bien plus qu'ils ne devraient. Toutefois, je pus l'observer en détail, sans la toucher. Sur sa lame courait une inscription dans une langue étrangère dont je mémorisai les symboles. Pour le reste, elle avait tout l'air d'une arme d'apparat, une arme dont on ne peut se servir au combat, quoique je ne fus pas assez savant en matière d'arme pour le jurer.
Nous fumes interrompu par la venue d'un autre visiteur, une elfe, dont je me méfiai aussitôt. Je pense d'ailleurs, que depuis cette facheuse rencontre avec les Elfes Défias, j'ai une facheuse tendance à me méfier des Elfes de la Nuit en général. Nausicaâ réempaqueta l'épée, et nous nous mîmes d'accord pour quitter les lieux. Nausicaâ décida qu'il était temps de nous séparer. J'acquiescai, mais j'insistai pour garder le contact et me permettre de continuer mes recherches sur son improbable passé. Elle me donna une liste de nom et de lieu où je pourrais la contacter, puis elle disparut vers une destination inconnue usant de la magie d'une pierre de foyer.
Il y avait, dans son départ, un sentiment de vide incompréhensible. J'avais à ce moment, complété un chapitre important de ma quête, et de ma vie aussi. J'avais le double de son âge, mais cette femme-enfant avait acquis une maturité étonnante et je pouvais la lire sur son visage. On ne devient pas prêtresse pas hasard, je suppose. Et si cette épée était seulement la moitié de ce que je croyais, alors elle emportait avec elle un fardeau bien lourd sur ses épaules, bien plus lourd, sans doute, qu'elle ne pouvait l'imaginer. Lorsque je dormis cette nuit-là, je rêvai d'elle.
(à suivre...)
[Mémoires] La quête de l'Epée d'Ishara - 5
Où l'enquête commence sérieusement
"Le mal est une essence, une matière ou une énergie. Comme tout ce qui est tangible pour le corps ou l'esprit, il peut être plié, dominé ou détruit."
Précepte d'Ajirad Gerk, Philosophe-démonologue.
Nausicaâ. Mes yeux ne la voyait plus depuis deux jours, mais mon coeur la voyait encore. Je le sais aujourd'hui, ce n'était pas de l'amour. Du moins, pas de cet amour qui unit deux êtres dans l'éternité. Mais à cette époque, j'étais encore assez jeune et vigoureux, et sans doute trop peu sage, pour le ressentir autrement que comme un sentiment noble de ce genre. Elle me manquait. J'eus l'occasion de faire une recontre qui changea un peu cet état de fait. J'étais décidé à accomplir cette quête de la vérité, faire la lumière sur une légende qui pouvait s'avérer en partie vraie et qui pouvait se révéler être le véritable passé de Nausicaâ. Cette détermination me donnait de la force et la volonté de sortir de ma condition de barde errant. Peu importe l'argent ou les honneurs, il s'agissait pour moi de faire de ma vie quelque chose que, dans mon âme, je jugeais utile et juste. Ce qu'on appelle plus communément, une raison de vivre.
C'est en cherchant par tous les moyens à m'aguérir un peu, ne serait-ce que pour me rendre vraiment capable de me défendre seul face à deux Elfes de la Nuit Défias, que je rejoignis la Milice du Peuple dans les Marches de l'Ouest. L'on me confia quelques basses besognes qui ne tardèrent pas à devenir de dangereuses besognes, me mettant directement en contact avec la lie des Défias qui infestaient le territoire. En dépensant ce qu'il me restait d'argent, j'acquérai un équipement me permettant de battre la campagne et de combattre ce genre d'ennemi. Ce n'est pas sans mal que je les affrontai, mais je peux vous dire qu'il n'y a rien de tel pour progresser que de voir la mort en face. Le tout étant quand même de lui faire face avec sang froid, sans quoi, elle vous assassine sans coup férir. Fort heureusement, il me semble bien que tous ces brigands que je rencontrais n'avaient que depuis peu rejoint les rangs de cette confrérie, les plaçant, en quelque sorte, dans la même situation que moi... Le premier ennemi, le premier sang à verser, le premier crime. Approchant d'une ferme envahie par ces crapules, j'entendis les cris d'une femme. C'était une magicienne et je la voyais en difficulté. Mais aussi, et surtout, je vis un second adversaire lui lancer des couteaux à distance. Immédiatement, je me portai à son secours, fonçant sur le lanceur de couteau, le neutralisant très vite, puis m'attaquant à celui qui tentait de l'égorger avec son épée courte.
A nous deux, nous en vinmes à bout. Epuisée, elle s'effondra et haleta, reprenant son souffle avec difficulté. J'étais fatigué par ce combat qu'il avait fallu mener très rapidement, mais satisfait de l'expérience acquise. Je lui demandai si elle allait bien. Elle dit que oui et me remercia sincèrement, m'adjectivant de superlatifs qui ne m'allaient pas du tout. Je crus bon de rétablir avec modestie la hauteur de mes services et modérer quelque peu son enthousiasme. Elle me proposa de partager son repas et son eau, ce que j'acceptai avec joie. Nous nous présentâmes. Elle s'appelait Xoracia. Elle recherchait ses vrais parents, ayant découvert depuis peu que ceux qu'elle croyait ses parents l'avaient en fait adoptée. Nous discutâmes deux bonnes heures. Il faisait nuit et sa compagnie était agréable. Les sourires qu'elle me lançait, la politesse de ses propos, son réel intérêt pour mon passé me firent un drôle d'effet. Je ne lui cachai rien des misères de mon existence et du renouveau qui s'était imiscé dans celle-ci. J'aurai sincèrement voulu l'aider dans sa quête, si simple et si sincère. Mais je m'étais lancé dans une toute autre voie. Nous nous promîmes de rester en contact, jurant pour ma part de l'aider si je le pouvais. Si je n'en montrais rien, j'eus du mal à la quitter et je crois qu'elle aussi. Pouvait-on s'attacher aussi vite à un inconnu ? Qu'avions-nous en commun ? Elle semblait si désireuse de me voir réussir, de me savoir en bonne santé, en bonne voie... Tout ceci m'a marqué. C'est évident. Et j'espérais ardemment la revoir, bien plus que je ne l'avais montré. Dans le même temps, j'avais une autre tâche à mener.
Je commençais à entrevoir que cette quête pourrait s'avérer dangereuse. Si ce n'était pour moi, cela l'était pour la sécurité de Nausicaâ. Aussi décidai-je d'agir avec le plus de prudence possible. De retour à Stormwind après quelques pérégrinations instructives, je me mis à la recherche d'un homme de science occulte. Je placardai une annonce dans le quartier des mages et fit de même en revenant à Goldshire ce soir-là. Une annonce peu loquace en somme : "Historien cherche mage ou démoniste compétent. Laissez votre nom au tenancier, je prendrai contact". Je ne prenais aucun risque. A Goldshire, quelqu'un répondit à mon annonce, l'Aubergiste m'indiquant son nom : Eloonhya. Je m'empressai de lui écrire, lui proposant un rendez-vous le lendemain soir, laissant le système postal magique faire son office.
Et le lendemain, elle vint. Je supposai qu'il s'agissait de quelqu'un de compétent en science occulte à voir ses vêtements et ses colifichets gravé de runes. Elle se montra assez méfiante au premier abord, et je la comprenais, mais j'avais fixé le rendez-vous dans un lieu fréquenté. Les quelques témoins de notre discussion, j'en étais sûr, n'irait rien raconté de ce que nous dirions, trop peu cultivé pour comprendre ce que nous disions. Elle se détentit quand je lui expliquai aussi peu de chose que possible sur mon identité et l'origine d'une certaine inscription. Je lui fis traduire les runes que j'avais mémorisé sur l'épée de Nausicaâ, une inscription que j'avais reproduit sur mon carnet. Elle ne mit pas longtemps à m'en offrir la traduction : "Le sang de Thel'Darsyl, pour le cercle, à jamais". Eloonhya me fit une remarque sur le pouvoir potentiel d'une telle phrase, qui, selon elle, lie l'âme de Thel'Darsyl à l'objet sur lequel est portée l'inscription. Une interprétation qui en vaut une autre, considérant que je ne lui avais pas révélé que cette phrase était gravée sur une épée. Je la remerciai de sa gentillesse et lui fit promettre de garder notre rencontre et ses conclusions pour elle. Elle ne sembla pas intriguée plus que ça et se retira. Elle me laissa un conseil néanmoins : m'adresser à une guilde nommé les Archivistes, si, par le plus grand des hasards, je désirai en savoir plus sur mon affaire. Je notai le nom et m'en allai également.
Je repassai à Stormwind et me rendit à la Bibliothèque du Donjon avant que le palais ne ferme, et là je fis quelques recherches pour confirmer ce que je savais déjà. Thel'Darsyl était mentionné dans nombre de recueil elfique, principalement des récits Haut-Elfe. De ce que je savais de la Légende d'Ishara, il se pouvait fort bien que Thel'Darsyl fut le nom d'une lignée, ce qui donnait du sens à un tel message. Une lignée qui aurait pu être celle des ancêtre de Kerinos, ou dont Kerinos lui-même pouvait être l'initiateur. Je jubilai. Enfin quelque chose qui me rattachait à ce que je croyais, à ces mythes et ces légendes qui m'avait permi seulement de manger ces dernières années mais qui, de loin en loin, se profilait comme la plus complexe et la plus riche des histoires. Il ne restait qu'à découvrir ce que le "cercle" signifiait. Interrogée à ce sujet, Eloonhya la démoniste n'avait su me donner de réponse. Dès ce moment, j'espérais bien plus d'une autre catégorie de personne : Les Haut-Elfes...
(à suivre...)
Décade du Singe
Décade du Faucon
Lune de l'Esprit [1]
Décade de la Chouette [1]
[Mémoires] La qête de l'Epée d'Ishara - 6
Où le passé fait enfin quelques révélations
"L'Histoire est écrite par les vainqueurs et les survivants, et non par ceux qui la font."
Thrall, dans "La dénonciation des Ombres."
Je réalise encore avec peine les révélations dont je fus le témoin à ce moment. Tout ce que j'appris alors était le prélude évident de ce qui suivrait. Devant mes yeux ébahis, l'histoire allait naître et s'enfler, prendre des proportions fantastiques, et tragiques aussi. Les années n'ont pas atténué ce que j'ai ressenti à cette époque où je rencontrais un acteur essentiel de l'histoire. Mais racontons les choses dans l'ordre.
J'étais toujours à la recherche des elfes. Je m'étonnais d'en trouver si peu dans la région de Stormwind. En ce temps, de nombreux défenseurs du peuple de Quel'Thalas avaient élu domicile près de la cité-état. A croire qu'ils étaient tous devenus des apatrides errants, incapable de s'établir dans un lieu qu'il pouvait considérer comme leur foyer. En un sens, et à l'échelle de mes propres errances et de mon propre passé, je les comprenais. Aussi n'eu-je pas la chance d'attirer leur attention par mes annonces déposées ça et là dans les tavernes des environs. Mon message était peut-être trop spéficique ou trop exigeant, ou bien, aucun d'eux ne voulait répondre à l'appel d'un simple historien anonyme.
Fort heureusement, je n'attendis pas bêtement que l'un d'eux veuille bien venir me trouver et me mis à leur recherche. J'avais ouïe dire qu'une petite communauté d'entre eux fréquentait une maison noble de Stormwind. Je n'eus hélas pas l'occasion d'entrer dans cette demeure, moi, un loqueteux. Je ne pouvais leur en vouloir, mais obtint tout de même quelques informations, et surtout un nom, que je captais dans une conversation proche. C'est ainsi que je me lançai en quête d'un dénommé Clemanas.
Vagabond Haut-Elfe était la seule information à ma disposition le concernant. Rien n'indiquait sur qui je tomberai alors. A Goldshire, là ou j'avais le plus de chance de le trouver, la Foire de Sombrelune battait son plein. Je me présentai à l'auberge de la Fierté du Lion plusieurs jours de suite, profitant un peu des activités ludiques de la Foire. J'eu l'occasion de croiser le très célèbre Sayge, le prédicateur. Enclin à croire, mais pas naïf au point de m'abandonner à ces fadaises, j'écoutai quand même ses paroles. Il m'affirma que j'allais faire une rencontre importante. Je ne me doutais pas, alors, à quel point il avait raison.
De nouveau de passage à l'auberge, je demandai au tenancier si le dénommé Clemanas était là. L'homme ne répondit pas, mais un autre non loin m'enjoignit à boire du porto. Je lui posais également ma question, et il s'identifia lui-même comme étant Clemanas. Lumière que cet homme était transformé. Je m'étais fais des tas d'idées sur les Haut-Elfes qui, comme lui, erraient de par le monde. J'avais visité les abords de Quel'Thalas et croisé ces fiers elfes à de nombreuses reprises, en d'autres circonstances. Mais, d'elfique, cet homme n'avait plus que les traits. On eut dit un humain, engonçé dans une armure de facture locale, emportant avec lui la pourrière des chemins. Bien entendu, je ne montrai rien de mon trouble. Il m'invita à le suivre dehors pour discuter.
Nous nous installâmes sous le hauvent d'une roulotte de la foire et nous parlâmes. J'évoquai mon but, les noms de la légende et mon souhait de rattacher cela à la réalité que je connaissais. Il ne répondit pas immédiatement, sauf sur un point des plus intéressants : Thel'Darsyl était le nom de Kerinos. Ainsi l'épée de Nausicaâ était bien porteuse d'un nom légendaire et c'était la première grande vérité que je recherchais. Pas une preuve, mais un indice des plus formels. J'avais la chance, en outre, d'avoir comme interlocuteur un elfe assez érudit. Il m'affirma qu'Ishara n'avait pu vivre à Silvermoon et encore moins exercer ses talents de prêtresse d'Elune dans cette ville. De même, selon lui, le nom de Lokmariek lui disait quelque chose, mais sans plus. Il semblait plus au fait du passé des Thel'Darsyl. Il me permit d'apprendre que les Thel'Darsyl étaient des Bien-Nés, donc possiblement, des ancêtres des grandes familles Thalassiennes.
Tout cela étayait la légende sans me permettre d'en apprendre assez sur son contexte historique. Clemanas m'avait au départ semblé réticent à divulguer des informations sur le passé des Quel'Dorei. S'il s'était ensuite détendu en comprenant ma vocation, il avait pu gardé pour lui quelques secrets. Par ailleurs, l'idée selon laquelle Ishara aurait habité Silvermoon paraissant particulièrement affreuse aux yeux des Haut-Elfes, j'imagine sans peine que l'histoire écrite ou parlée avait pu être modifiée pour en éviter la mention. Mais il pouvait aussi le savoir et ne rien vouloir m'en dire, à moi, simple humain. Saurions-nous jamais la vérité à ce sujet ?
Mais ce n'était pas ce qui m'importait. Avant de le quitter, Clemanas attira mon attention sur un fait. Il avait semblé vouloir me donner une piste à suivre alors que j'émettai des hypothèse à haute voix. A un moment, il me parla de Kalimdor. Je savais que de nombreux elfes avaient trouvé refuge là-bas, dans la nouvelle nation forgée par l'humaine Jaïna Proudmore, Theramore sur Kalimdor. Mais il rectifia en m'affirmant qu'une elfe de la nuit dont il avait entendu parlé s'était lancé dans la recherche de l'Epée d'Ishara et qu'elle semblait en savoir beaucoup. Il estima que je pouvais la rencontrer sur Kalimdor. Je le remerciai pour cette information avant de prendre congé.
Je n'avais pas, dès le début de ma quête, envisagé d'aller aussi loin pour une si hypothétique piste. Mais après des semaines de recherche sans avoir le plus petit début d'indice, il me fallait exploiter cette possibilité. Et je n'eus pas à voyager beaucoup, à vrai dire. Je pénétrai dans Stormwind, décidé à rallier Ironforge, puis les Paluns, en empruntant le tunnel ferroviaire des gnomes appelé Tramway des Abysses. Là, non loin de la grande porte, je revis Clemanas en discussion avec une elfe de la nuit. L'animosité qui hantait ces deux races surgit ici comme l'explosion d'un feu d'artifice gnome. Au travers d'insultes polies, les deux elfes sortirent de la ville pour en découdre hors de la vue des soldats. Je les suivis. Clemanas avait visiblement été désireux de discuter d'une autre manière, mais les armes parlèrent et lui donnèrent raison. Je notais alors l'état de faiblesse de la Kaldorei, qui cracha un sang noir en tombant à terre. elle se releva et ils se battirent encore avant qu'elle ne cède. Clemanas ne chercha pas à l'achever. Il semblait qu'un nouvel affrontement allait commencer quand j'intervins.
Je ne sais pas ce qui me poussa à le faire, mais si intuition il y avait, elle fut bonne. Clemanas renonça à la discussion et s'éloigna, me laissant seul avec l'Elfe de la Nuit. Je lui demandai si elle s'appelait Eôwyn et j'en eus rapidement la confirmation. Elle n'était pas facile d'accès, visiblement en colère suite à cette rencontre impromptue. Mais je me forçais à demeurer en sa compagnie et à user de toute les politesses possibles pour maintenir le dialogue. Elle m'entraîna à sa suite dans l'auberge où elle résidait et dont elle allait partir, selon ses dires. Et là, alors que je ne m'y attendais pas du tout, j'appris presque tout ce que je voulais savoir.
Il y eut une interruption. Un autre elfe de la nuit appelé Ezequiel eut une conversation avec elle, dans leur langue natale que je ne comprenais pas... Mais je reconnus quelques termes et noms qui revenaient souvent. Notamment le nom de Nausicaâ, ce qui m'inquiéta beaucoup. L'air déçu, Ezequiel se retira et je posais alors à mon interlocutrice quelques questions. Elle m'avoua être à la recherche de l'Epée d'Ishara pour la détruire, n'ayant pour ce faire qu'une solution : tuer Nausicaâ. J'étais tétanisé par la terreur. Lorsqu'elle me demanda si je connaissais Nausicaâ, j'ai préféré lui mentir. Je tentais malgré tout de conserver une contenance et puis je me détendis un peu en comprenant les motivations de cette elfe. Sa mère avant elle, et probablement ses ancêtres, étaient des sentinelles vouées à la destruction de l'Epée. Eôwyn avait vu sa mère mourir, son âme emportée par la lame maudite. Elle voulait détruire l'arme comme une sorte de vengeance. Elle se rendait compte de l'injustice perpétrée à l'encontre de Nausicaâ, innocente des crimes de l'Epée, mais était visiblement prête à la sacrifier pour sauver des centaines voire des milliers d'autres personnes. Comme je le supposai alors, elle connaissait très bien la famille de Nausicaâ, traquée par sa mère avant elle. Ses parents étaient morts. Ils s'appelaient Ittalirë et Ingwë. La première était une elfe, descendante d'Ishara, 4 générations la séparant de la légendaire prêtresse. Ingwë était un humain.
C'est tout ce que j'appris d'elle, mais c'était suffisant. La légende était vraie. Plus aucun doute n'était possible. Avant que nous nous quittions, je tentais vainement de la faire renoncer à son projet, de trouver une autre solution pour débarasser le monde de l'Epée. Mais elle ne m'écouta pas, jurant de tout faire y compris de mourir, dans l'accomplissement de ce devoir. Sa noblesse m'émut beaucoup. Je n'approuvai pas ses méthodes, mais je n'avais pas la force d'en dire ou d'en faire plus. Je lui promis juste que je vouerai ma vie à trouver le moyen qu'elle n'avait su trouver. Nous nous quittâmes en bon terme.
Je me souviens du soupir que je poussais à ce moment. J'allais devoir annoncer à Nausicaâ que j'avais trouvé la trace de ses parents décédés, et qu'elle était pourchassée à mort par une elfe de la nuit. A ce moment, je ne savais trop comment m'y prendre, mais pour ne pas la mettre en danger, je ne pouvais que lui écrire, ce que je fis. Par la suite, les réponses que j'avais obtenu me mettait sur une nouvelle piste. Jamais le nom des Thel'Darsyl n'avait été accroché de manière aussi évidente à l'épée d'Ishara. Il se pouvait donc qu'à l'époque des Bien-Nés, se trouvât la solution recherchée... Plus de 9000 ans m'en séparait... 9000 ans.
(à suivre...)
Décade de la Baleine
Décade du Lapin
Quatrième Ère [2]
Lune de la Force
Décade du Panda
Décade du Gorille
Décade de l'Ours
Lune d'Agilité [2]
Décade du Tigre [1]
[Mémoires] La quête de l'Epée d'Ishara - 6
Où des forces obscures entrent en jeu
"L'intelligence est la seule qualité qui rende le mal vraiment dangereux. Si nous n'y avons pas encore succombé, c'est parce qu'elle est insuffisamment répartie."
Rock des Proges, dans "Les quolibets des nantis"
Cette époque de ma vie est celle où j'ai failli la perdre. Je me dois d'ajouter que ce ne fut pas la seule, mais ma confrontation à la mort et à la souffrance fut, cette fois, la plus prononcée et la plus inquiétante, surtout parce que c'était la première. A dire la vérité, ce ne fut pas exactement la première. On vit tous des évènements qui nous amènent à croire que notre dernière heure est arrivée. Pourtant, jusqu'à notre dernier souffle, nous luttons et espérons toujours nous en sortir. A ce moment de mon existence, j'ai cessé de lutter et j'ai souhaité mourrir. Cela fait toute la différence.
Mon enquête piétinait. J'ignorai comment se portait Nausicaâ après la nouvelle que je lui avais apportée, et surtout si elle avait échappé à sa poursuivante. Ses parents étaient morts. Je ne crois pas qu'elle ait jamais eu l'espoir de les revoir un jour, et il valait mieux que ça soit ainsi. Quant à moi, j'essayais vainement d'explorer 9000 ans d'histoire et je me rendais compte que c'était peine perdue. Du moins, je ne croyais pas qu'il fut impossible d'y parvenir, mais je n'étais clairement pas au bon endroit pour ça. A ma connaissance, il n'existait qu'une poignée d'êtres vivants de cet âge, des elfes de la nuit, et ce n'est pas à Stormwind que je pus les trouver. J'envisageai de faire le voyage jusqu'à Kalimdor pour explorer le berceau de cette civilisation, du moins, son second berceau si l'on en croit les légendes du temps passé. Mais quelque chose me fit changer d'avis ce jour. Et si cet évènement ne s'était pas produit, bien des choses se seraient passées différemment. C'est sans doute ce qui définit la notion de destinée, même si j'en eu, ce jour-là, une vision un peu fataliste.
Tout à mes préparatifs de voyage, dans lequels j'hésitai encore entre deux voies pour traverser l'océan, je demeurai à Stormwind et allait régulièrement à la bibliothèque royale. Un soir, en revenant du palais, je croisai un étrange bonhomme accompagné d'un poulet. Il avait l'air d'un paysan ou d'un marin. La cinquantaine bien marquée, sa peau était mate et burrinée par le soleil et le grand air. Il semblait encore assez costaud pour son âge et je n'aurai pas voulu recevoir son poing dans ma figure. Fort heureusement, mes vingts années de moins que lui jouait en ma faveur pour éviter que ça soit le cas. Décrire un personnage par le jeu d'une altercation possible peut sembler bizarre, mais je crois qu'en le voyant, j'ai ressenti que cet homme portait en lui une véritable colère, et qu'il voulait probablement en découdre avec le monde. Son visage était dur comme la pierre, ses rides accentuant l'impression de rage sourde qui se dégageait de lui. Dégarni et les cheveux blanc, il semblait mal à l'aise dans ses vêtements aux couleurs plutôt chatoyantes. On eut dit qu'il s'était habillé ainsi parce qu'il n'avait rien trouvé de mieux à se mettre, et que cela le courrouçait d'autant plus. Toutefois, malgré la sinistre apparence de ce vieillard, je ne pouvais m'empêcher de le trouver ridicule... Avec ce poulet qui le suivait.
Il ne fit que croiser ma route alors que je me retenais d'éclater de rire et mit fin à mon hilarité croissante en me parlant. Il me dit quelque chose de très surprenant du genre : "J'aime beaucoup ce que vous faites". Je m'arrêtai immédiatement pour engager la conversation et lui demandai si on se connaissait et sa réponse me troubla encore plus car il me dit : "de temps en temps, oui. En ce moment, c'est le cas. Nous devrions en parler à l'occasion".
- Vos paroles m'intriguent vraiment, lui répondis-je. Je dois dire que vous aiguisez ma curiosité messire. J'aimerai en savoir plus.
En mon for intérieur, il me semble que j'avais opté pour deux hypothèses. Ou bien cet homme était fou, où bien il était vraiment intéressant. Mais, en dehors de l'étrangeté du couple qu'il formait avec son poulet, rien n'indiquait que cet homme avait perdu la raison. Son ton était ferme, son regard sûr, sa détermination palpable. Je n'arrivais pas à conclure.
- Je serai au Cochon Siffleur dans vingt jours vers le milieu d'après-midi, me dit-il. J'aurai plaisir à vous dire ce que vous voulez savoir.
Si j'eus le temps de dire quelque chose, je n'eus pas assez de présence d'esprit pour élaborer une phrase digne de ce nom. Il s'éloignait déjà en ajoutant :
- Pour l'heure, j'ai une tâche vitale à accomplir et je dois rendre quelque chose à quelqu'un.
Il m'en avait trop dit ou pas assez. En tout cas, je ne pus simplement le laisser aller et je le suivis.
Quelle ne fut pas ma surprise de le voir aborder une jeune femme accompagnée d'une elfe de la nuit sur le pont qui traverse le canal entre le quartier commerçant et le quartier des mages. Cette rencontre n'était pas surprenante en soi, du moins, mais je reconnus sans peine la silhouette de Nausicaâ Blackmaens, et surtout, le paquet, l'Epée qu'elle portait dans le dos. J'avais ouïe de nombres de rumeurs qui affirmaient qu'elle avait été aperçue en ville à de nombreuses reprises ces derniers mois. Je n'y avais pas prêté foi, sachant que cela aurait été folie que de venir à Stormwind. Mais elle était devant moi, je n'avais aucun doute. Toutefois, je n'osais l'aborder en présence de ce vieux bonhomme, pas plus qu'en présence de cette elfe qui semblait prête à fondre sur le vieillard pour lui déchirer la gorge avec les dents. On commençait à connaître mon visage en ville et me voir en présence de Nausicaâ lui porterait innévitablement préjudice. Ainsi restai-je à distance, ne parvenant pas à capter le moindre mot de la conversation, mais ne perdant pas une miette de la rencontre. Et puis, abruptement, l'homme au poulet fit un geste en direction de Nausicaâ qui s'auréola d'une étrange lumière bleue. Avant que je comprenne ce qui s'était passé, j'étais sorti de ma cachette, une dague à la main. Mais je parvins à me resaisir en constatant que la descendante d'Ishara n'avait rien. Nul ne m'avait vu, et je me cachai à nouveau. Le vieil homme était tombé inconscient devant Nausicaâ et sa compagne, immédiatement après son geste. Il finit par se relever. Il me sembla alors qu'il y eu une discussion houleuse avant que le vieillard ne se retire, d'un pas mécontent. Quant à Nausicaâ je la vis regarder son épée avec étonnement après avoir défait quelques linges.
J'avais perdu le vieil homme de vue et je renonçais à suivre Nausicaâ. La suivre eut pu attirer l'attention, dont la sienne, et notre rencontre en pleine ville eut été trop lourde de conséquence. Après ce qui venait de se passer, j'avais plus que jamais envie de revoir le vieil homme. Aussi restai-je à Stormwind, l'oreille à l'affut des ragots, l'oeil vif et alerte dans l'espoir de voir mon mystérieux bonhomme avant l'heure. J'entendis parler du grabuge qu'il y eut ce même soir dans un établissement qui avait ouvert ses portes dans le quartier nain et selon les témoignages que j'entendis indirectement, donc déjà gonflé par la rumeur populaire, Nausicaâ s'y trouvait et il y avait eu plusieurs morts. Une elfe de la nuit avait massacré le patron de l'établissement et était parvenu à s'enfuir ensuite. J'étais inquiet pour Nausicaâ que la présence en ville et la participation à ce genre d'évènements mettait terriblement en danger. Mais cela passa. A croire que Stormwind et tout ce qu'elle recellait de crapules et autres hommes avides de pouvoir n'avaient strictement rien vu. Les jours passèrent ensuite sans évènements majeurs. A l'approche de la date que m'avait indiqué le vieil homme, je doutais de plus en plus qu'il viendrait à ce rendez-vous improbable, mais chaque jour, je me rendais au Cochon Siffleur, pour être certain de ne pas le manquer. J'arpentais même les rues de Stormwind dans l'espoir de croiser son chemin, mais cela n'arriva pas.
Au jour dit et approximativement à l'heure où je l'y attendais, il vint. Il était fidèlement suivi par son poulet, et n'avait pas changé sa mise. Il était, donc, toujours aussi ridicule. Je le vis s'adresser au comptoir, puis tourner la tête dans ma direction. Je ne m'étais pas placé en évidence, il est vrai, un petite habitude récente, aussi, rien ne pouvait me laisser présager du déroulement étrange de cette seconde rencontre, pratiquement aussi bizarre sinon plus que la première. Cela commença ainsi :
- On se connaît, messire ? me lança-t-il.
Je dus laisser transparaître un peu de surprise. S'agissait-il bien de la même personne ? Finalement, je haussai les épaules et déclarai :
- Il me semble que oui. Nous nous sommes croisé il y a trois semaines.
- C'est possible en effet.
- Vous ne vous en souvenez plus ?
- A vrai dire, non. Disons qu'il est probable que je fus, à ce moment, dans un état second.
Me ramenant à la première impression que j'avais eu de lui, je ne pus m'empêcher d'émettre un ricanement.
- Un état transcendant dans ce cas, ajoutai-je.
L'homme sembla véritablement piqué au vif par ma remarque.
- Que me vaut ce commentaire douteux ?!
Je compris alors qu'il était tout à fait sérieux :
- Eh bien, messire, vous m'avez fixé rendez-vous ici, aujourd'hui même à cette heure précise et j'avoue mon étonnement.
L'apparence de la surprise sur son visage acheva d'afficher la mienne sur le mien.
- Bon. Mettons les choses au point, reprit-il. Je suis mort peu de temps avant de vous avoir croisé, et je n'ai repris conscience que peu de temps après, alors que j'étais en face de deux femmes sur un pont.
- Heu... oui.
- Que vous ai-je dis en vous croisant ?
- Voyons... Attendez que je m'en souvienne.
- Soyez précis ! insista-t-il.
Je cherchai à me souvenir des détails en buvant une gorgée de bière.
- Vous m'avez abordé d'une façon assez inhabituelle. Vous m'avez dit : "j'aime beaucoup ce que vous faites". Je vous ai demandé si on se connaissait, ce à quoi vous avez répondu : "De temps en temps, oui. En ce moment, c'est le cas. Nous devrions en parler à l'occasion". J'ai précisé que vos paroles m'intrigait et j'ai ajouté que j'aimerai effectivement en parler. Suite à quoi vous m'avez dit : "Je serai au Cochon Siffleur dans vingt jours vers le milieu d'après-midi. J'aurai plaisir à vous dire ce que vous voulez savoir". Avant de partir, vous avez conclu : "pour l'heure, j'ai une tâche vitale à accomplir et je dois rendre quelque chose à quelqu'un". Puis vous êtes parti, suivi par votre poulet.
- Ce n'est pas mon poulet ! trancha-t-il d'un ton peu amène.
Je décidai de ne rien dire de plus à ce sujet et je poursuivis.
- A vous entendre, il est clair que je n'obtiendrais pas d'explication sur ce que vous m'avez dit il y a vingt jours, n'est-ce pas ?
- En effet ! Hier encore, je n'avais pas du tout eu l'intention de venir ici. Il a fallu que je croise cette elfe à Ironforge pour que cela me décide à...
Il s'interrompit. Je devinais qu'il ne souhaitais pas trop en dire à son sujet.
- Quel elfe ? demandai-je.
- Duvnarel. C'est une druidesse.
Voilà un nom qui me disait forcément quelque chose. En relation avec Nausicaâ, ce personnage cité par Eôwyn et Ezequiel venait enfin sur le devant de la scène. Mon homme dut se rendre compte de mon étonnement et me demanda :
- Vous la connaissez ?
J'étais forcé d'acquiescer :
- Pas personnellement. Je sais qui elle est.
- Etrange, conclut-il.
C'est le moins qu'il pouvait dire. Je décidai que je pouvais essayer d'en apprendre davantage sur ce qui s'était passé sur le pont.
- Qui avez-vous rencontré sur ce pont où vous avez repris connaissance ?
Il hésita avant de me répondre.
- J'ai rencontré deux femmes. Une elfe et une humaine. Duvnarel a prétendu qu'il s'agissait de ses filles.
- Zénia et Nausicaâ ?
Zénia le seul autre nom que je pouvais associer à cette elfe dont il me parlait, outre le fait que Duvnarel ait pu être leur mère eut failli me désarçonner complètement. Fort heureusement, je le cachai aussi bien que possible à mon interlocuteur.
- Je ne connais pas leur nom.
- Que s'est-il passé ?
- Après mon réveil, pas grand chose. Mais avant cela, j'étais conscient, selon elle, et j'aurai lancé un sort sur l'humaine.
Cela je le savais, et à la mention de cette action, je me forçai à dessérer mon poing fermé sur ma chope de bière. Il fallait que j'en sache plus encore.
- Quel sort ?
- Je n'en sais fichtre rien ! s'énerva-t-il. A ce qu'il semble, une rune nouvelle aux reflets bleutés avait été tracée sur l'épée de cette femme et elle m'a questionné à ce sujet.
- Vous sauriez retracer cette rune ?
Il me parut réfléchir.
- Une minute, l'ami ! Ce n'est pas ainsi que je conçois d'échanger des informations !
Il m'avait mis à jour. Mais comme il haussait le ton, je préférais calmer le jeu. J'émis un sourire et levai les main en signe d'appaisement :
- Excusez-moi, mais, j'ai juré de préserver l'existence de cette personne.
- Ca m'est égal ! Ca me concerne ! Je veux savoir !
A ce stade là, je ne pouvais plus contenir cette colère que je lisais dans son attitude. Ce personnage n'était que haine, mais une haine froide et mesurée qui échappait rarement à son contrôle. En tout état de cause, et surtout à la vue des visages se tournant vers nous, je convainquis le vieil homme de m'accompagner dehors. Ce qu'il fit.
Je dus abattre mes cartes. Il se présenta et dit s'appeler Tordal. Je me présentai également, ne donnant que mon prénom. Je lui révélai un peu de mon histoire et surtout la Légende de l'Epée d'Ishara. Je ne fus pas surpris d'apprendre qu'il ne connaissait pas du tout ce récit. Quand il me dit d'où il était originaire, qu'il venait de découvrir le don de la magie en lui et les raisons qui l'avaient poussé à apprendre à s'en servir, je compris à qui j'avais à faire. Mais dans notre échange d'informations, je lui avais déjà révélé ce qu'il souhaitait, à savoir que l'Epée était réelle et ce que la légende lui prêtait comme pouvoir. Tordal ne cacha pas son intérêt pour cette source de puissance et sembla un peu plus enclin à réfléchir à l'étrangeté de notre rencontre.
Nous déduisîmes assez rapidement qu'une force ou une entité étrangère avait pris son contrôle. Dans le même temps, nous arrivâmes à la conclusion que Duvnarel, la druidesse, avait organisé notre rendez-vous ou, tout du moins, en avait été pleinement informée. Il restait à admettre, dans tout cela, que pour rendre la chose faisable et compte-tenu de l'anachronisme évident des faits, celui ou celle qui nous avait rassemblé avait le don de la préscience. Bien qu'il fut mage, j'avais l'impression d'être plus apte que Tordal à croire ce genre d'explication. Je le voyais se débattre dans une rationalité qui manquait, à terme, totalement de bon sens. Qu'il ait été fermier autrefois, je le croyais aisément.
Toutefois, bâtie sur des hypothèses fragiles, l'explication du comment se brisait sur la falaise du pourquoi. Nous ne voyions aucun intérêt à nous rassembler, à moins que la discussion que nous menâmes à ce moment n'ait un sens profond et une conséquence importante sur... Sur quoi ? Nous étions dans l'impasse. Je proposais au vieil homme d'enquêter chacun de notre côté. Il prétendit avoir accès à quelques sources d'informations à Ironforge. Visiblement intéressé plus par l'arme que par les personnes qui gravitaient autour, Tordal semblait désireux de découvrir quel type de magie il avait contribué à placer dessus. Quant à moi, je remis mon voyage vers Kalimdor une nouvelle fois. Je ne pouvais partir avant d'avoir prévenu Nausicaâ de ces nouveaux développements, ni sans m'être assuré au préalable que ces éléments ne trouveraient pas écho quelque part dans les ressources écrites et orales de Stormwind. C'est là que j'avais pris la décision qui faillit me coûter la vie sinon la santé mentale.
C'était le lendemain du jour où j'avais croisé Tordal. Je me rendais au Cochon Siffleur où m'attendaient un de mes contacts de la pègre de Stormwind, quand je fus kidnapé sans ménagement. Je ne repris conscience qu'après un temps impossible à évaluer, dans une geôle humide et froide. De rudes mains appartenant à de rudes gaillards me frappèrent tandis que l'on me sommait de répondre à diverses questions. Il s'agissait de révéler tout ce que je savais sur Nausicaâ Blackmaens et l'Epée. Malgré la souffrance, je décidai de me taire. La sécurité de Nausicaâ, de cette douce créature qui m'avait sauvé la vie et pour laquelle j'aurai donné la mienne, méritait que je souffre... Jamais, cependant, je n'avais autant souffert, et, je me savais condamné à plus ou moins court terme. Je pense que des jours s'écoulèrent avant qu'ils ne se décident à laisser faire quelqu'un d'autre. A ce moment, je n'étais plus qu'une plaie, affamée et assoifée, meurtrie dans sa chair, incapable de bouger tant elle avait mal. J'avais admi que je pouvais mourir, et même, je le souhaitais. Mais ma volonté était intact. Je n'avais pas cédé et cela me donnait de la force.
Et puis, tout a basculé. Des hommes revinrent, me prirent et me forcèrent à regarder ce qui arrivait derrière eux. Je n'ai qu'un souvenir vague de ce qui apparut devant moi. Jamais dans ma fertile imagination d'écrivain, jamais de ma vie, jamais dans le moindre des récits qu'il m'avait été donné d'entendre, je n'avais vu pareille horreur. Ce n'était pas seulement l'apparence de cette chose que je décrirai comme une ombre tentaculaire de néant suintant de mal, mais également sa prodigieuse capacité à s'insérer dans les pensées, à les malmener, à les violer, puis à les dévorer. Si je n'étais en vie aujourd'hui pour le conter, je pourrais affirmer que cette chose m'a tué. Elle m'a dépouillée de tout ce que je savais, de tout ce que je voulais cacher, puis elle m'a rejetée, comme on jette un os vidé de sa moelle, comme un déchêt. L'horreur, pourtant, m'habitait toujours et rongeait mes pensées. Je ne pouvais plus raisonner, réfléchir. Je ne pouvais plus rien faire. J'avais soif de crier, mais mes poumons me brûlaient déjà trop et je ne fis que me blesser davantage. Je ne peux plus décrire ceci que comme des sensations, car la mémoire précise de ces instants m'est occultée. Lorsque j'ai repris conscience, probablement des jours plus tard, j'avais été soigné physiquement, et probablement psychiquement, et celle qui se tenait à mon chevet était la mystérieuse instigatrice de ma rencontre avec Tordal : Duvnarel.
(à suivre...)
Décade du Singe [1]
[Mémoires] La quête de l'Epée d'Ishara - 7
Où les véritables enjeux se révèlent
"Tout ce qui apparaît comme complexe n'est en fait constitué que de choses très simples et élémentaires. C'est la construction, vue dans son ensemble qui révèle la complexité. Celui qui est trop près de l'édifice n'aura jamais aucune chance de le comprendre."
Faruk Al'Methi, archéologue et historien.
La compréhension n'est pas nécessaire à la collaboration. C'est du moins ce que prétendent certains chefs. C'est une façon de se prémunir contre l'erreur selon moi. Sauf lorsque l'on sait que ce qui nous commande est la vérité. J'admets que cette entrée en matière peut paraître un peu mystérieuse, mais j'ai du mal, encore aujourd'hui, à trouver les mots qui représentent le mieux cet état de fait. Car ce jour maudit ou béni de ma rencontre avec Elle, rien n'a plus été pareil ensuite.
J'en étais là, usé, démoli par l'expérience de mon enlèvement. Penchée sur moi, se tenait une personne que j'avais souhaité rencontrer depuis longtemps et qui détenait peut-être nombre de réponse à mes questions, la mère adoptive de Nausicaâ : Duvnarel Lidakdel. La seule question qui me vint à l'esprit à ce moment fut d'une banalité affligeante : je lui demandai l'heure qu'il était.
- La nuit vient de tomber, me répondit-elle simplement. Cependant, je doute que cette information te soit particulièrement utile.
Je fus forcé d'acquiescer. Mon esprit venait d'être violé et à moitié détruit par la chose abominable à laquelle j'avais été confronté durant ma captivité. Des blessures mentales si profondes qu'elles rendaient dérisoires l'état physique dans lequel je m'étais trouvé. Mes souvenirs de ces derniers jours n'étaient plus que cauchemar. Aujourd'hui encore, je dois admettre que je n'en suis pas tout à fait remi. En fait, je ne m'en remettrai jamais. Je contemplai le visage serein de l'elfe et commençait à me poser les vraies questions. Je n'eus rien à dire. Comme si elle savait exactement ce que j'allais demander, elle me fournit toutes les réponses de sa voix parfaitement sûre et mesurée :
- Je t'ai sorti du cachot dans lequel tes ravisseurs t'avait abandonnné. Tu es resté quatre jours dans le coma. J'ai soigné tes blessures du mieux que j'ai pu, mais l'épreuve que tu as subi laissera ses traces à tout jamais dans ton esprit.
- Comment savez-vous ce que j'ai subi ?
- Je sais ce que je dois savoir.
Je venais d'entendre là toute l'essence de ce que cette elfe me dirait dans les prochaines minutes. Car à aucun moment de notre conversation je ne fus en mesure d'apprendre de quelle manière certaines des informations qu'elle possédait avait pu lui parvenir. Je me remémorai alors que ma mystérieuse sauveuse était indirectement responsable de mon enlèvement, lequel n'aurait probablement pas eu lieue si je n'avais eu à rencontrer Tordal. En fait, plus je réflechissais à cela et moins je voyais de sens à mon entretien initial avec le vieux mage. J'avais tellement de question à l'esprit que j'en oubliai rapidement les plus essentiels des besoins. En essayant de me relever, je fus pris d'un violent vertige.
- Tu devrais te nourrir et pendant ce temps, je vais t'expliquer ce que tu dois savoir, me dit Duvnarel.
Mes yeux se tournèrent vers ma gauche où un tapis était disposé par terre, couvert de mets variés. Un véritable festin pour l'homme affamé que j'étais. Je m'emparai de quelques fruits et mon hôtesse ne tarda pas à prendre la parole. Je m'efforçai de mémoriser dans le moindre détail ce qu'elle me déclara alors :
- J'ai décidé de te faire un certain nombre de révélations. Tu devras inscrire ce qui va se dire ici dans l'histoire.
- C'est pour cela que vous m'avez sauvé ?
- J'ai fait ce que je devais faire. Je sais que tu connais ma fille et que tu souhaites la protéger. Ce que tu vas apprendre ici et maintenant te servira le moment venu, à cette fin.
- Vous êtes donc bien la mère adoptive de Nausicaâ ?
- En doutais-tu ?
Je ne repondis pas.
- Dans les mois qui vont venir, reprit-elle, tu vas être amené à faire plusieurs choix importants pour l'avenir de Nausicaâ. Sans ce que je vais te dire aujourd'hui, tu seras incapable de faire les bons.
- Je suis tout ouïe dame Lidakdel, dis-je alors.
Oh oui, je l'étais. Même sans savoir ce qu'elle avait à me dire, un être capable de prédire l'avenir ou de manipuler le destin ne pouvait que me fasciner. Et c'était précisément ce qu'elle était à mes yeux, une sorte de déesse tissant et entremélant les fils de plusieurs avenirs, dans un but qui, même avec les explications qu'elle me donna, me paraissait encore étrangement obscur. Ainsi expliqua-t-elle les choses :
"Certaines puissances de ce monde ont décidé de régler une fois pour toute le problème posé par l'Epée d'Ishara. Un conflit de grande envergure se prépare, mais pourtant, ce n'est pas l'Epée qui en est la cause directe. Sa nature se glisse dans la destinée de tout ceux qui vont s'ouvrir à ce conflit. Si l'Epée n'existait pas, rien ne serait arrivé, mais ce n'est pas le cas. L'Epée d'Ishara a été touchée par les dieux, alors elle n'a plus rien d'ordinaire et partout où elle passe, elle forge les lendemains des êtres. C'est pourquoi je suis contraint d'intervenir.
"L'Epée doit être détruite et elle le sera. Ce qu'elle va engendrer est désormais devenu innévitable. Mais elle ne provoquera pas davantage, cela je m'en assurerai. Elle prendra fin dans le Puits d'Eternité où elle a été forgée. Il faudra attendre que ce dernier devienne accessible. Hélas, le temps joue contre nous. D'ici à ce que le Puits devienne accessible, le mal qui rôde autour de l'arme ne peut manquer de se l'approprier et tenter de voler le pouvoir qu'elle détient. J'ai décidé que le mal parviendrait à ses fins."
J'ouvris des yeux ronds de surprise :
- Mais... Pourquoi ?
"Parce que la meilleure arme que nous ayons pour lutter contre le mal est le mal lui-même. Il s'engendre et s'annihile dans le même temps. L'Epée ne pourra pas être conservée par la porteuse. Trop d'individus désirent cette arme. Mais dans l'immédiat, personne ne peut rien en faire, ainsi que cela a été décidé. Toutefois, il existe un moyen de briser le Sceau de Malygos, car nulle magie, pas même celle de l'Aspect, ne peut outrepasser les lois instaurés par les Anciens : toute magie prend fin. Malygos lui-même est contraint d'avoir créé une limite à son Sceau, une limite qui peut être découverte et surpassée.
"Ceux qui sont prêts à tout pour s'emparer du sang des Thel'Darsyl devront apprendre tout cela, et chercher la solution tout en protégeant leurs biens contre des rivaux aussi nombreux que pugnaces. Cette lutte peut durer le temps dont nous avons besoin pour finaliser le plan."
Je n'osais, sur l'instant, interpréter et comprendre toutes ces paroles. Elles étaient pour moi comme une litanie, de ces lois que l'on récite et que l'on chante, celles dont on loue la force et l'évidence devant l'autel des puissances supérieures. Je n'arrivais pas, je ne pouvais pas imaginer que cette femme ait pu me mentir. Il y avait tant d'assurance, tant de persuasion dans ses propos. Sincèrement, je ne doutais pas, et je n'ai jamais douté, même après toutes ces années, qu'il y ait eu le moindre mensonge, ni la moindre erreur dans ce qu'elle me dit. Je m'apprétais à poser une question, mais elle continua imperturbablement.
"Ce mal doit donc savoir les erreurs qu'il ne doit pas commettre. Voler le pouvoir de l'Epée d'Ishara est possible, mais les conditions de cette réussite ont été établies il y a des milliers d'années et ne souffrent aucune erreur. Le sang de la porteuse est indispensable à cela. Par le sang d'Ishara, le destin de l'épée a été scellé, par le sang d'Ishara il sera libéré. Mais il demeure un problème."
Elle fit une pause, comme pour me laisser le temps de digérer ce qu'elle venait de me dire, avant, sans doute, de me révéler quelques ultimes desseins de ce plan complexe. Je fus tenté de demander de quel problème il pouvait bien s'agir, mais je me retins. Les questions étaient inutiles, car si je n'avais compris qu'une once de ce qu'était la créature qui se trouvait en face de moi, c'est bien qu'elle ne ferait rien qu'elle n'ait décidé au préalable, ce qui me plaçait dans la position du spectateur. Elle poursuivit :
"Il y a deux porteuses. L'une d'elles est au service du mal et doit mourir. C'est de ta main qu'elle périra. Alors, il ne restera que Nausicaâ pour assumer ce rôle, et elle seule pour libérer l'Epée d'Ishara, que ce soit volontairement ou non. Elle souffrira avant d'être elle-même libérer de ce fardeau, le jour où l'Epée sera détruite. C'est le prix à payer."
J'étais effaré, effrayé, terrorisé... Tuer une porteuse. Et puis, soudainement, je ne comprenais que trop ce que cela signifiait.
- La mère de Nausicaâ est en vie !
Cela m'échappa. Calmement et lentement, Duvnarel hocha la tête.
- Mais... Non ! C'est hors de question ! Je ne la tuerai jamais ! Et puis... Mais... Pourquoi servirait-elle le mal d'abord ?!
J'étais tout simplement dégoûté à cette idée. La fascination que j'avais pour mon interlocutrice venait de se muer en un sentiment de révolte. Qui était-elle ? De quelle droit osait-elle me dicter mon destin. M'ordonner de faire quelque chose qui me répugne. Sans changer d'attitude, sans se départir de son assurance étouffante, elle répondit à mes muettes questions :
- Tu feras ce choix pour Nausicaâ. Tu es amoureux d'elle, et au fond de toi, cette conclusion s'imposera. Car le jour venu, tu comprendras que tu n'as plus vraiment le choix.
- Je refuse ! Me dire cela aujourd'hui, c'est me forcer la main. Si je suis confronté à ce choix, j'ai assurément le droit de ne pas agir comme vous le dites !
- Je dis ce que je dois dire, et je fais ce que je dois faire. Quoi que tu en penses, ça ne changera rien. Ceux qui se révoltent contre leur destin ne se rendent pas compte que leur révolte en fait également partie. Nul ne peut y échapper.
Cette phrase là acheva de me convaincre d'une chose : je ne parlais pas avec Duvnarel. Je ne crois pas qu'un mortel quelconque, même une elfe immortelle ou presque, âgée de plusieurs millénaires, ait pu tenir de tels propos. Car je ne crois pas qu'un mortel quel qu'il fut puisse simplement accepter l'idée d'une telle fatalité. Pourtant, pour tout mortel, la mort est innéluctable. Tous ont des raisons d'être fatalistes à un moment ou à un autre de leur existence. Mais l'espoir est une chose qui dépasse la logique la plus élémentaire. En mon for intérieur, je demeurai convaincu de mon droit absolu à choisir, peu importe ce que dirait cette chose qui me parlait. Je retrouvai mon calme devant ce regard lumineux qui transperçait mon âme.
- Je te laisse, me dit-elle de but en blanc.
Elle se leva et se dirigea vers la sortie. J'étais dans une caverne et j'ignorai où elle était située. Mais encore une fois, la Kaldorei anticipa mes interrogations :
- Cette caverne est située dans les montagnes au nord de Northshire. C'est un endroit secret et tu peux y demeurer autant de temps que tu voudras.
Elle se transforma aussitôt après en immense félin noir et se fondit dans les ombres. J'avais une lanterne pour m'éclairer, diffusant une lumière, qui, je le supposais, je pouvais pas être aperçue de l'extérieur.
Avant même de poursuivre mon repas pour apaiser cette faim qui me tenaillait, je réfléchis à toutes ses paroles. Apercevant mon havresac non loin de moi, je l'attrapai et l'ouvrit pour m'emparer de mon calepin et d'un fusain. J'y griffonai rapidement quelques mots issus de cet entretien étrange ainsi que quelques évidences déduites de la conversation. Tordal serait peut-être heureux d'apprendre qu'il avait été l'instrument d'un Aspect-Dragon... En le pensant, j'en doutais fortement, imaginant déjà le vieil homme poussant tous les jurons d'Azeroth. Il ne restait qu'une énigme dont je n'étais pas certain. Duvnarel semblait convaincue que l'on pourrait accéder au Puits d'Eternité. Un Puits détruit quatre ans plus tôt en même temps qu'Archimonde. Se pouvait-il qu'il ait conservé quelques propriétés ? N'avait-il pas simplement été vaporisé dans l'explosion de l'Arbre-Monde ? Que voulait-elle dire par "non accessible" ? Pour le moins, cela était une évidence, mais qu'allait-il se produire pour que le Puits d'Eternité devienne de nouveau accessible ?
Je décidai ensuite de grignoter tout en réfléchissant à ce que j'allais faire. Il y avait un moyen très simple d'échapper aux prédictions de Duvnarel. Je pouvais rester ici et attendre. Mais si, par mon absence, je provoquais encore pire ? Je ne pouvais pas simplement me tenir à l'écart. Si je gardais l'espoir de dévier de cette affreuse destinée, il me fallait me confronter à elle. Mon immobilisme ne devait pas entraîner de désagrément pour Nausicaâ, c'était inconcevable. En fin de compte, je me trouvais innéxorablement piégé par Duvnarel, car, je n'avais aucun moyen d'évaluer les alternatives qui se présenteraient si je décidais de ne pas intervenir. A ce moment, plus que jamais, mon destin venait d'être scellé.
(à suivre...)
Décade du Faucon
Lune de l'Esprit
Décade de la Chouette
Décade de la Baleine
Décade du Lapin
Cinquième Ère
Lune de la Force
Décade du Panda
Décade du Gorille
Décade de l'Ours
Lune d'Agilité
Décade du Tigre
Décade du Singe
Décade du Faucon
Lune de l'Esprit
Décade de la Chouette
Décade de la Baleine
Décade du Lapin
Sixième Ère
Lune de la Force
Décade du Panda
Décade du Gorille
Décade de l'Ours
Lune d'Agilité
Décade du Tigre
Décade du Singe
Décade du Faucon
Lune de l'Esprit
Décade de la Chouette
Décade de la Baleine
Décade du Lapin
Septième Ère [1]
Lune de la Force [1]
Décade du Panda
Décade du Gorille [1]
[Mémoires] La quête de l'Epée d'Ishara - 8
Où l'histoire prend un nouveau tournant
"La valeur d'une découverte se mesure à la force de la convoitise qu'elle suscite."
Comte Remington Ridgewell, noble de Stormwind.
Cette époque de ma vie a, durant quelques mois, ressemblé à une autre que j'aurai voulu oublié. Alors que la Légende de l'Epée d'Ishara, sa terrible vérité et l'étrangeté de ses protagonistes menaçaient d'engloutir ma raison, je commis une nouvelle fois le crime de fuir. Mon entrevue avec l'inquiétante Duvnarel Lidakdel m'avait sans doute assez choqué pour me convaincre de la véracité de ses prédictions abjectes. J'étais alors convaincu que je tuerai la mère naturelle de Nausicaâ, que cela soit ou non accidentel. Ce qui se passa ensuite acheva de me persuader que cet abominable destin se mettait doucement en place.
Au début, abandonné dans ma grotte, je m'étais dit qu'y rendre mon dernier souffle était sans doute ce qu'il y avait de mieux à faire. D'une certaine manière, heureusement pour moi, ma lâcheté fut moins forte que ma faiblesse. Pas vraiment remis de la terrible expérience que m'avait fait subir mes ravisseurs, je me mis à délirer puis sombrais dans un coma qui aurait dû me couter la vie, du fait de l'absence totale de soin. Mais je m'éveillais quelques temps plus tard dans l'hopital de Stormwind, soignée par Gwendolline, une Hospitalière. J'acceptai le fait d'avoir survécu à presque un mois de coma sans la moindre sustentation. Je me remis assez vite et je quittais discrètement l'hopital pour me mettre à la recherche de Nausicaâ.
Par quel extraordinnaire hasard j'appris l'endroit où elle se trouvait ? Je ne m'en souviens pas. Sans doute une information glânée à l'hopital même ou quelque part à Stormwind. Dans une des maisons du Camp de Bûcherons du Val d'Est, je découvris la jeune Blackmaens. Quel piètre voleur aurai-je fais ? Je crus comprendre que la maison entière était piégée et je me retrouvais assomé par un choc électrique au moment où je touchai le rebord de la fenêtre. La propriétaire des lieux, une espèce de blonde un peu folle, assez pour avoir piégé de la sorte sa propre maison, m'aurait probablement égorgé et abandonné aux loups si Nausicaâ ne m'avait pas reconnu. La jeune fille semblait elle-même dans un triste état, les yeux brulés par je ne sais quel maléfice.
Nous discutâmes un peu et j'appris quelques-uns de ses déboires, faits qui faisaient passer mes aventures pour des contes de fée à faire dormir les enfants. Pendant que nous parlions je souffrais d'une dichotomie terrible qui tiraillait mon coeur. Je savais que sa mère naturelle était encore en vie, mais je ne pouvais pas me résoudre à le lui dire, de peur d'enchaîner un peu plus mon destin aux élucubrations de sa mère adoptive. La vue otée, elle devait sentir ou ressentir certaines choses différemment et mon trouble ne passa pas innaperçu. Finalement, je lui relatait mon étrange rencontre avec Duvnarel, et la plus importante de ses révélations. Quelle ne fut pas ma surprise d'apprendre qu'elle savait déjà que sa mère naturelle était encore en vie. Ce que je lui apportait ne faisait que le confirmer. Mais à cet instant, je pris peur. J'étais paralysé par l'incertitude, la conviction malsaine induite par Duvnarel que je pourrai apporter la mort à cet espoir fou offert à Nausicaâ de retrouver sa véritable mère. J'imaginai toute sorte de raisons à la druidesse millénaire pour avoir organisé tout ceci, la jalousie en premier. Incapable de rester plus longtemps à côté de cette jeune fille que j'aimais plus que tout au monde alors que je pouvais être le futur assassin de sa mère, je décidai de me retirer.
Elle ne sut me retenir, encore moins en m'avouant ce qu'elle pensait de l'étrange comportement de sa mère d'adoption. D'autres essayèrent, des personnes que je ne connaissais pas mais qui côtoyaient et protégeaient Nausicaâ. On me provoqua même, mais une sourde logique s'était insinué en moi. Nul ne pouvait plus me détourner de l'évidence. Si j'étais promis à tuer la mère de Nausicaâ, la seule façon pour moi d'éviter ce désastre était de fuir. Certes, je songeai à la mort, mais, ou bien par lâcheté, ou bien envahi de l'idée que mon corps seul, sous la domination d'un quelconque nécromancien, était en mesure d'accomplir la prédiction tout aussi bien que moi, je renonçai au suicide. Etait-ce véritablement une victoire ? Je sais aujourd'hui que je me voilait la face. Il y avait tant de moyen de disparaître corps et âmes... J'étais donc véritablement un lâche, et cette conclusion s'imposait, aussi évidente que mon nez au milieu de ma figure, pour celles qui tentèrent de me convaincre de rester et de lutter pour l'être que jamais. Je maintins mon idée : redevenir un vagabond, disparaître, me faire oublier... Et le plus difficile : l'oublier.
Lorsque je m'élançai sur les chemins, j'avais un poids sur le coeur plus lourd que la montagne Ironforge, j'avais la tristesse dans l'âme plus insondable que les prodondeurs de Blackrock, j'étais sans volonté ni ambitions. J'étais alors loin de me douter de ce que je trouverai sur ma route. Une réponse à un mystère sans doute plus ancien que le plus âgé des Kaldoreis. La réponse à une question que beaucoup se posèrent par la suite. Car lorsque j'appris que l'Epée d'Ishara avait été volée par une main inconnue, je sus alors que je détenais une information qui allait faire de moi l'homme le plus recherché d'Azeroth.