Itchiko

L'air était frais, le vent naissant du crépuscule lui caressait agréablement le visage. Itchiko contemplait la fière cité de Stormwind plonger lentement dans le sommeil. Comme souvent, elle était montée sur le toit de l'auberge, laissant ses deux amies prendre un peu de repos.

Son regard fut attiré par une silhouette inhabituelle à cette heure. La jeune fille sortit la longue vue fabriquée pour elle par Gloria et tacha de savoir qui était ce personnage atypique pour cette heure tardive.
Itchiko fut surprise de reconnaître la jeune Melancoly. Que pouvait-elle bien faire à cette heure ? Pourquoi le vieux Derk n'était-il pas avec lui ? Elle la suivit du regard et la vit s'engouffrer dans la boutique sur le point de fermer du tailleur.

« Le vieux Derk a du faire un trou dans ses chausses. » Itchiko sourit.

Elle resta un moment à observer. Melancoly ressortit de la boutique en rangeant sa monnaie dans sa bourse. Itchiko se tendit, elle savait qu'il était risqué à cette heure de montrer sa richesse. La bourse semblait bien pleine, une proie aguichante pour les oiseaux de nuit.

A l'aide de sa longue-vue, Itchiko fit le tour des ruelles et des recoins sans voir personne. Rassurée, elle rangea son cadeau et jeta un dernier regard à Melancoly qui se hâtait vers le quartier des mages et l'auberge ou elle résidait avec son père. La jeune fille se leva et commença à descendre vers la fenêtre de sa propre chambre. C'est qu'elle le vit. Un homme en noir, se déplaçant d'ombre en ombre, un objet brillant légèrement dans la main.

Itchiko étouffa un juron et remonta en haut du toit, elle chercha Melancoly du regard et la vit qui flanait devant les vitrines des magasins du bord des canaux. Elle jura à nouveau. S'approchant du bord opposé du toit elle regarda la rue à quelques mètres en dessous.

« Ca fait haut quand même . . . » Son regard se porta sur un autre toit moins élevé.

« Hm . . . Ca doit être faisable . . . » Elle prit son élan et sauta vers l'autre toit. Elle se réceptionna en silence, ne perdant pas des yeux le coupe-jarret.

« Toi, tu la touches, je te les coupe . . . » Lestement elle sauta dans la rue en contre bas.

Melancoly ne se doutait même pas que sa vie se jouait en ce moment, totalement inconsciente du danger qui rodait, elle continuait à flâner, marchant lentement vers son auberge.

L'esprit d'Itchiko tournait à plein régime. L'homme était-il seul ? Si non, ou pouvait se trouver les autres ? Ou allait-il passer à l'attaque ? Quel chemin prendre pour le couper de sa proie ?

L'homme attendait que Melancoly s'éloigne du pont enjambant le canal, Itchiko ne pouvait donc pas traverser. Le pont le plus proche la mènerait dans la vieille ville, beaucoup trop loin. Son regard se porta sur le petit ponton ou quelques barques étaient amarrées.

« Oui . . . Ca devrait passer » Sans un bruit, la jeune fille descendit au bord de l'eau et monta dans une barque. Elle en détacha l'amarre et poussa avec ses jambes sur la poutre en bois, propulsant en silence l'embarcation vers l'autre rive.

« Il doit être concentré sur Mel . . . » L'embarcation glissa sur l'eau en silence et atteignit l'autre rive. Itchiko se hissa et se cacha immédiatement dans un coin d'ombre. Elle chercha Melancoly des yeux. Elle venait de pénétrer dans le quartier des mages et l'homme se rapprochait de plus en plus. Itchiko jura. Elle escalada à la hâte la façade d'une échoppe et coura sur le toit.

Elle connaissait bien le coin, en se dépêchant, elle arriverait à rejoindre la rue avant qu'il ne soit trop tard. Sans bruit, elle se laissa glisser dans la rue, Mel venait de tourner vers l'auberge. Itchiko sortit son épée et se rapprocha de l'angle, attendant l'homme.

Itchiko avait les mains moites, elle n'aurait qu'une seule chance d'éviter de faire couler le sang. Elle se plaqua au mur et écouta. L'homme approchait, elle retint sa respiration et raffermit sa prise sur son épée. L'homme tourna la tête vers elle puis de nouveau vers Melancoly qui s'était à nouveau arrêtée. Il fit un pas et s'éloigna d'Itchiko, toujours cachée.

Un petit bruit sourd fit se retourner Melancoly. Le silence revint et sembla angoisser la jeune mage. Elle se hâta de rentrer dans l'auberge.

Itchiko se tenait le flanc et était adossée au mur. Deux hommes étaient allongés sur le pavé. L'un d'eux baignait dans son propre sang, la gorge tranchée. Elle regarda la lame de l'homme mort.

« Pas de poison . . . Mon jour de chance sûrement. » Elle retira sa main de son flanc et regarda le sang qui la maculait.

« Peut-être pas tant que ça . . . »

L'homme qu'elle avait assommé ne tarderait pas à revenir à lui, mieux valait filer. La jeune fille se releva et retourna tant bien que mal à sa chambre.

« Gloria va être furieuse et Val va me faire la tête . . . »

Elle pénétra dans la chambre et alla réveiller une des deux silhouettes nues.

« Glo ? Glo, réveille-toi. J'ai un problème . . . »

 

Obscurité
. . .
Douleur
. . .
Odeur de pourriture
. . .
Une lumière éblouissante la força à fermer les yeux.

Des mains la saisirent et la tirèrent, une voix résonna lui glaçant le sang.

« Vient ! »

Itchiko ouvrit les yeux et hurla de terreur, un visage en décomposition lui faisait face.

Le mort vivant lui fit une grimace ressemblant vaguement à un sourire.

« La peur te rend plus belle petite. Tant de vie dans ce corps. »

Il lui caressa la poitrine de sa main décharnée. Itchiko ne pouvait plus bouger.
Le mort vivant éclata d'un rire sinistre et la tira hors de la cellule.

Partout, des cadavres s'affairaient, l'odeur faillit la faire défaillir. Son esprit s'envola, elle repensa aux jours précédents.

. . .

Un message d'Erinya pour Gloria, un rendez-vous dans les maleterres. Itchiko n'avait pas voulu laisser Gloria et Valerias avec cette trainée d'Erinya.

. . .

Itchiko trébucha et tomba sur le pavé irrégulier, immédiatement, les coups plurent.

« Debout ! »

. . .

« Coucou les filles ! » Erinya affichait un grand sourire.
« Vous êtes toutes venues, c'est bien, très bien même. » Elle regarda Itchiko, un picotement parcouru le dos de la jeune voleuse.
« Bonjour Erinya. » Gloria l'embrassa sur la joue avec un sourire.
« Bonjour ma belle. » Valérias fit de même.

Itchiko regarda la scène d'un œil noir. A quoi jouaient-elles ?

« Glo, pourquoi on est là ? »
« Tu verras Poussin, c'est une surprise. »
« Une surprise ici, prend moi pour une conne aussi ! »
« Allons Itchi, fait-nous confiance. » La voix de Val était douce et rassurante.
« Mouais . . . »
« Aller, en route les filles » Erinya sauta sur son cheval et la petite troupe partie.

. . .

« Tu rêves ? Profites de pouvoir encore le faire. » Le rire du mort résonna à travers les couloirs sombres.
« Ou on va ? » Le geôlier se retourna et la frappa.
« Silence ! Tu parleras que quand ton vieil ami, le maître, te le demandera ! »

. . .

Les poumons d'Itchiko la brulaient. Elle se concentrait sur le dos de Gloria et luttait pour ne pas se laisser distancer mais sa blessure à la jambe la ralentissait.
Erinya leur faisait signe à coté du mécanisme de fermeture de la herse. Itchiko sentit qu'on lui tirait la cape, jetant un coup d'œil, elle vit ce qu'il restait d'un homme s'accrocher à elle. La jeune fille coupa l'attache de sa cape mais le poids soudain en moins la déséquilibra et elle tomba à quelques pas de la herse.

« GLO ! » Elle tendit désespérément la main vers sa compagne.

Gloria rejoignit Erinya et Valérias et se retourna. Itchiko se relevait péniblement et boitait le plus vite possible vers elles.
Gloria joignit sa main à celles de Valérias et d'Erinya sur le levier de la herse, un sourire éclairait leurs visages. Itchiko refusa de comprendre la scène, elle accéléra le pas.

« NOOOOOOON ! » La herse s'abattit quelques secondes avant qu'elle ne l'atteigne.

En larme, Itchiko saisit les barreaux.

« Adieu Poussin. » Gloria lui caressa la joue à travers la grille.
« Au revoir, mon amie. » Erinya la regardait avec une lueur de triomphe puis embrassa tour à tour Gloria et Valérias.

Le monde s'écroulait autour de la jeune fille, elle tomba à genoux et pleura. Les morts vivants arrivaient sur elle mais elle ne bougea pas.

Erinya, Gloria et Valérias regardèrent la masse en décomposition fondre sur Itchiko et l'emporter.

. . .

« Arrête de pleurer, ça sert à rien. Le maître sera pas plus tendre. On arrive. »

Itchiko se tenait devant une porte étrangement familière.

« Entre ! »

Elle ouvrit la porte et pénétra dans une chambre luxueuse. Itchiko parcourut la pièce du regard, la peur se changeant en terreur.

« Non . . . c'est impossible . . . »

« Bienvenue mon enfant ! Tu nous as manqué, tu sais, n'est ce pas mes amis ? »

Des rires éclatèrent dans la pièce tandis qu'une quinzaine de morts vivants sortaient des alcôves. La porte claqua derrière Itchiko.

« Non ! Vous êtes mort ! Tous ! Je vous ai tous tué ! »
« En effet mon enfant, tu nous as tué. »
« Assez bavardé l'abbé ! Ca fait des années que je rêve de ses caresses ! Qu'elle nous montre ses charmes ! Elle a l'air bien plus belle qu'avant ! »
« Tu as raison mon ami ! Déshabillez-la ! »

Des mains jaillirent du sol et arrachèrent les lambeaux qu'il restait de son armure.

. . .

Un hurlement résonna dans la petite auberge réveillant les membres endormis de la guilde.

 

Deux ombres se faufilèrent sans bruit hors d'une chambre de l'étage de l'auberge. Elles se dirigèrent vers l'escalier.

« Tu marches pas au milieu des marches, d'acc ? » la voix d'Itchiko n'était pas plus qu'un murmure.

Sans attendre de réponse, elle descendit à pas de loup l'escalier. Un craquement sinistre retentit.

« Bandit ! Pas milieu j't'ai dis, tu l'fais exprès ou quoi ? »

Le chaton dévala l'escalier en le faisant allègrement grincer et se frotta contre les jambes nues de sa maîtresse.

Poussant soupir, Itchiko se dirigea vers la cuisine. Quelques bruits de vaisselle plus tard, les deux comparses ressortirent, l'une avec un sac, l'autre avec une saucisse dans la gueule.

. . .

Assise sur le bord du toit, Itchiko regardait la ville endormie à ses pieds.

« Tu vois Bandit, bin y a des trucs qui changeront jamais . . . Tu peux faire c'que tu veux, ça change rien. »

« Maow »

« D'acc, j'arrête. Attend encore un peu, faut pas oublier la tradition . . . »

Itchiko fouilla dans son sac et déposa sur ses genoux un gâteau au chocolat.

« Chnock va hurler, c'était pour le p'tit déj' . . . Bof, on s'en fiche. »

La jeune voleuse sortit une petite boite métallique et disposa quinze bougies sur le gâteau. Elle se saisit de son briquet d'amadou et les alluma.

« Bon bin voilà . . . Encore un anniversaire pathétique . . . »

« Miaou »

« Ha ouais, t'as raison, le vœux . . . »

Itchiko ferma les yeux puis après quelques secondes prit une grande inspiration et souffla les bougies.

 

Itchiko se réveilla en sursaut . . . Encore un cauchemar . . .

La jeune voleuse retira délicatement la main posée sur son sein puis souleva lentement le bras sur son ventre et enjamba sans bruit le corps dénudé endormi à coté d'elle.

Dans la pénombre, elle prit une chemise et l'enfila, s'arrêtant un moment pour en sentir le parfum . . .

« Une chemise à Val . . . »

Un miaulement se fit entendre.

« Chuuuuut Bandit ! Tu vas les réveiller ! »

Son regard se porta sur les trois femmes dénudées qui partageaient sa couche, avec un sourire, elle sortit dans le couloir de l'auberge. Pendant un instant, Itchiko ferma les yeux et écouta les bruits de la nuit.

Derk ronflait tranquillement, il n'avait rien dit sur les raisons de son départ si longtemps . . . Il ne lui avait pas encore adressé la parole . . .

Itchiko soupira et descendit dans la salle commune en prenant soin de prendre Bandit dans ses bras pour limiter les grincements de ce maudit escalier en bois.

Une fois de plus, les deux gnomes n'avaient pas eu la force de monter se coucher . . Il régnait une désagréable odeur de plantes brûlées. Le vieux Chnock était, comme à son habitude, endormi sur son comptoir. Son cousin était allongé sur un banc, une pipe tout juste éteinte dans une main.

« Ils sont pitoyables quand même . . . »

La jeune fille progressa en silence vers la cuisine, regardant les gnomes dormir. Elle dépassa le banc de Brockh et passa entre les deux tables du milieu de la salle. Elle la connaissait par cœur, elle pouvait s'orienter les yeux fermés . . . Elle buta dans quelque chose de dur, lâchant Bandit, Itchiko prit son pied dans ses mains et sautilla sur place, étouffant un juron.

Soudain, son pied dérapa sur quelque chose et elle tomba en arrière. A son grand étonnement, le sol fut beaucoup plus haut que prévu et surtout beaucoup moins dur. Un grognement masculin se fit entendre derrière elle.

Un souvenir jaillit dans la tête de la voleuse : le nouveau ! ! !

Une bougie s'alluma et la voix d'un Chnock encore ensommeillé se fit entendre.

« Itchiko ? Mais qu'est ce que tu fabriques assise comme ça sur Dartagnan ? »

Le vieux gnome vissa des lunettes sur son nez.

« Et tu pourrais mettre une culotte, sacré nom d'une pipe ! Non mais tout de même enfin voyons alors quand même ! »

Itchiko, les joues rouges, s'enfuit en remontant l'escalier.