Le froid avait engourdit ses doigts, si bien qu'elle ne parvenait plus à faire passer le fil grossier dans le châs de l'aiguille. Albérie souffla dans ses mains pour tenter de les réchauffer mais l'air de ses poumons était glacé, lui aussi.
Un fracas à l'entrée de la grotte lui fit dresser la tête et la vue des trois imposantes silhouettes qui barraient la pâle lueur du soleil lui réchauffa le coeur.
"Isaïe ! Vous avez trouvé quelque chose ?" Demanda-t'elle en se précipitant vers un homme aux cheveux aussi noirs qu'elle, la voix pleine d'espoir. Celui-ci sortit quelque chose de sa sacoche et le lança à Albérie.
- Mange, répondit-il d'une voix ferme et rocailleuse.
Pendant que la jeune femme défaisait les baies emballées dans un morceau de tissu, la mine dépitée, Isaïe jettait du bois coupé dans le feu et se chargea de le raviver.
- Et le gibier ... ? Hésita-t'elle.
- Les rares bêtes que nous avons croisé ont-été dévorées par les loups.
- Mais ..
- Mange, Albérie.
- Et toi ?
- T'occupe, la coupa-t'il en défaisant son mantel.
Les autres chasseurs distribuaient au clan les maigres vivres qu'ils avaient trouvé, en trois jours. L'hiver était long et exceptionnelement difficile. La Doyenne, puis Armie, affaiblie par sa grossesse, et deux enfants avaient péri à cause du froid trop vif et du manque de nourriture. Redh', quant-à lui, avait été retrouvé à proximité du camp une semaine auparavant, la chair déchiquetée par les crocs d'une bête que les Hachegrise n'avaient pas identifié.
On soupçonnait les loups qui, en dépit de la peur que leur inspiraient les hommes, se rapprochaient chaque jour un peu plus de leur refuge. Le feu suffisait encore à les tenir éloignés mais ils se montraient plus audacieux depuis quelques temps, poussés sans doute par la faim et leur instinct de survie.
Comme les autres, Albérie craignait que l'hiver décime le clan, d'une façon ou d'une autre. Les chasses étaient maigres, le feu bien trop faible pour les réchauffer convenablement. Ils en avaient pourtant connus, habitués qu'ils étaient à vivre dans la montagne au gré de ses caprices. Mais c'était la première fois qu'ils connaissaient un climat aussi rigoureux. Le clan était figé dans la peur du lendemain.
Elle regarda Isaïe, son frère, éclairé par la lumière orangée des flammes. Il avait la mine soucieuse. C'était rare et celà ne fit que renforcer l'inquiétude de la jeune femme. Il sembla s'appercevoir de son observation car son expression changea aussitôt en un sourire qui se voulait rassurant. Albérie n'était pas dupe, elle savait que c'était sa façon à lui de la tenir écartée des soucis. Elle secoua la tête et repris son ouvrage.